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de la jeune fille ; j’ai voulu vainement dans ce récit me reporter aux émotions telles que je les éprouvai à cette époque, mais il en est de cela comme de ces calculs dont je vous parlais plus haut. Maintenant que j’en sais le secret, elles ont perdu pour moi leur premier sens, et je chercherais vainement à le retrouver. Je ne sais si je me fais comprendre, mais figurez-vous qu’on vous montre des masses blanches à l’horizon : par un premier regard vous croyez que ce sont des nuages ; puis quelqu’un vient qui vous dit que ce sont des montagnes, qui vous les montre, qui vous les détaille, qui vous en mesure la hauteur et la profondeur. Eh bien ! une fois cette explication donnée, vous avez beau essayer de ressaisir votre première illusion, vous ne pouvez plus voir de nuages à l’horizon, les montagnes réelles se dessinent sans cesse à vos yeux. Ainsi, je me rappelle bien que ce mot de Guillaume me blessa ; cependant je ne me dis point alors sur mon compte ce mot que je viens d’écrire. Mais l’expérience vint, l’expérience qui me fit voir clair, qui donna un sens au déplaisir que j’avais éprouvé, et qui effaça à tout jamais celui de ma première émotion. Cependant elle ne m’avait point trompé ; car elle m’annonça le malheur. VIII

LA FEMME D’UN SOT.

« Oui, Édouard, il est des défauts qui entraînent à leur suite plus de chagrin que les vices les plus coupables. Je vous l’ai dit : Guillaume était beau, il avait reçu une instruction peu profonde, mais très-variée ; il avait une immense fortune ; aucun genre de succès ne lui avait manqué. Je ne vous parle pas de ses maîtresses, quoiqu’il ne m’ait épargné le récit d’aucune de ses bonnes fortunes. Je suis trop peu savante dans l’histoire du cœur humain pour savoir s’il a jamais été aimé ; mais je crois connaître assez le monde pour être certaine qu’il a possédé beaucoup de femmes. Guillaume avait la manie de faire des vers et la manie plus fatale encore de les lire. Nous avons eu dans notre salon quelques hommes distingués qui voulaient bien quelquefois nous confier leurs productions, mais je n’en ai jamais vu obtenir un succès qui approchât de celui de mon mari. Il était très-médiocrement musicien, et se piquait de composer et de chanter ses compositions ; c’étaient alors des cris d’enthousiasme à travers lesquels moi seule je devinais