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l’ordonnance : mais on ne peut rien faire qu’après le mariage. Ainsi, Guillaume, tu ne seras véritablement héritier de la pairie de M. le comte de Vaucloix que dans quinze jours.

« Ce mot fut un éclair pour moi ; il m’expliqua le sens de la scène qui avait eu lieu chez le roi. À ce moment je reconnus que dans tout ce qui se passait je n’avais compté pour rien. On avait acheté la pairie de mon père, et on me prenait sans doute comme une des charges du marché. Cette explication m’arriva si soudaine et si nette, que je ne pus m’empêcher de pousser un cri de surprise.

« — Est-ce qu’on ne saurait rien ? dit M. Carin.

— J’allais lui expliquer tout cela quand vous êtes arrivé, répondit mon père avec humeur.

— Diable ! fit M. Carin d’un ton tout alarmé, et il se tourna vers moi : Vous consentez, n’est-ce pas ? C’est que moi j’ai lâché mon argent de confiance.

« Mon père fit un vif mouvement d’impatience.

« — Pas de nouvelles roueries, j’espère, monsieur Vaucloix ! reprit M. Carin en s’animant. Ce serait une friponnerie, cette fois ; c’est que je n’ai ni carte, ni billet des deux cent cinquante mille francs de pot-de-vin que je vous ai remis ; il faut s’expliquer un peu.

« Vous le dirai-je, Édouard ? mon père, dont l’humilité m’avait fait tant de peine, se montra tout à coup à moi sous un jour encore plus triste. Car, profitant de cette absence d’engagement que lui reprochait M. Carin, il lui répondit avec hauteur :

« — Hé, Monsieur, si ma fille ne consentait pas, il me semble que je ne pourrais pas la traîner de force à l’église.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? reprit M. Carin, devenu pâle de colère.

— Ça veut dire, reprit M. Guillaume d’un air froid et sec, que nous sommes filoutés par monsieur le marquis.

— Monsieur ! s’écria mon père en le menaçant.

« Je me jetai entre eux, et je dis à M. Guillaume :

« — Rassurez-vous, Monsieur, vous ne perdrez pas votre argent.

— À la bonne heure ! reprit le père ; vous êtes une honnête fille, ça vaut mieux que d’avoir de l’esprit.

« M. Guillaume s’approcha de moi, et me dit avec sa grâce si précise de geste et de terme :

« — C’est mon bonheur que j’aurais perdu.

« Édouard, pardonnez-moi ce que je vais vous dire : mais cette phrase me fit pitié, mon futur mari me parut un sot, et, pour que vous ne vous révoltiez pas contre ce mot, il faut que je vous explique tout de suite ce caractère dont peu de personnes se figurent l’insupportable tyrannie. Je ne vous parle plus des pensées