Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/75

Cette page n’a pas encore été corrigée

« — Cinquante, dit-il, et pas un mot.

« Mon père hésita, le tapissier ouvrit.

« — Quarante, dit mon père.

— Cinquante, dit le tapissier.

— Soit, cinquante, repartit mon père.

« Le tapissier ferma.

« — C’est vingt-cinq mille francs de perdus, dit-il en soupirant. Voyons, faisons le compte : six cent vingt-cinq mille francs de dettes à trente, cent quatre-vingt-six mille francs ; plus vingt pour cent en sus pour ma quote-part, qui est de cinquante-deux mille francs, dix mille quatre cents francs ; en tout : cent quatre-vingt-seize mille quatre cents francs.

« Mon père vérifia ses calculs et dit :

« — Voilà cent quatre-vingt-dix-sept mille francs ; vous me devez six cents francs.

— Ce sera pour mes honoraires, dit le tapissier.

— Non, certes !

— Allons, ne faites pas le méchant ; si je vous avais laissé faire, vous n’auriez rien obtenu.

— Allez donc, dit mon père, et débarrassez-nous de tous ces vampires.

— Le temps de régler le compte de chacun, et vous n’entendrez plus parler d’eux. Mais ne rentrez pas, car vous auriez de singuliers compliments à recevoir.

« Le tapissier sortit, emportant l’état des dettes, et s’établit devant une table, où tout le monde l’entoura.

« — Vous avez touché ? lui dit-on.

— J’ai touché, répondit-il.

« Ce fut un cri général. Une voix dit :

« — Si nous ne nous étions pas si pressés, nous aurions eu trente ou quarante.

« À ce moment, mon père me fit signe de le suivre.

« Vous devez vous étonner, Édouard, de me voir vous raconter tous ces détails avec une pareille précision. Ce n’est pas qu’alors je comprisse le moins du monde ; mais plus tard l’habitude d’entendre parler d’affaires m’a donné la clef de ce langage, que je ne comprenais pas. Je ne puis mieux comparer ce souvenir qu’à ce qui arrive à une personne qui entend prononcer des mots d’une langue étrangère. Ces mots lui restent dans la mémoire, et plus tard, en apprenant cette langue, elle s’explique ce qu’on a dit devant elle. D’ailleurs ces détails me furent bientôt répétés, et ils devinrent assez souvent le sujet de conversations tenues devant moi pour qu’aujourd’hui je les connaisse à fond.

« Cependant j’avais suivi mon père dans un petit salon qui m’appartenait, et la première phrase qu’il prononça fut celle-ci :

« — Puisque vous avez tout entendu, j’en suis ravi. Cela vous