Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/73

Cette page n’a pas encore été corrigée

avoir travaillé pour rien, mais je n’ajouterai pas un pour cent de diminution.

« Sur ce, le carrossier vint s’asseoir à côté du tapissier, à qui il dit :

« — Qu’en pensez-vous ?

— Moi, répondit-il, j’accepte les vingt-cinq pour cent. J’aime mieux ça que rien, si nous les avons ; on va nous compter dix, puis on nous promettra le reste dans deux ou trois ans.

— Vous croyez ? dit le carrossier.

— Eh ! M. de Vaucloix doit un million deux cent mille francs ; et, parce qu’il vous a montré soixante ou quatre-vingt mille francs, il vous semble avoir vu le Pérou. Quant à moi, il me doit plus de cinquante mille francs ; si on voulait m’en donner dix mille sur table, je les prendrais sur l’heure.

— Diable ! diable ! fit le carrossier, c’est votre avis ?

— Absolument. C’est encore un atermoiement. Ah ! si ce n’était le privilége de la pairie, il y a longtemps qu’il pourrirait à Sainte-Pélagie. Mais avec ça il se moque de nous. Aussi, quoi qu’il offre, je l’accepte.

— Écoutez, le voici qui parle.

« Mon père parlait en effet ; et, comme ceux qui étaient près de moi gardaient le silence pour l’écouter, je pus l’entendre.

« — Je vous ai tous assemblés pour que vous fussiez bien sûrs de ce que je vais faire. J’offre vingt-cinq pour cent ; mais je vous déclare que, s’il y a un seul récalcitrant, je ne donne rien.

« Il s’éleva un hourra général.

« — Rien, reprit mon père : je ne veux pas m’imposer un si énorme sacrifice pour ne point y gagner mon repos et pour être poursuivi de mille criailleries. Ainsi voyez et décidez-vous. Je vous laisse une demi-heure pour réfléchir.

— Mais c’est un vol ! s’écria-t-on de tous côtés, on ne traite pas des honnêtes gens avec cette impudence !

— Hé, messieurs les négociants, reprit mon père, lorsque vous faites faillite, vous traitez bien autrement vos créanciers ! vous leur donnez dix, et vous les estimez bien heureux.

« À ces paroles, mille cris, mille injures plus exaspérées les unes que les autres partirent de tous les coins du salon. Mon père parut vouloir y échapper et se rapprocha, pour sortir, de la porte où j’étais. Le tapissier l’arrêta et lui dit à voix basse, pendant que les autres se consultaient en tumulte.

« — Donnez quarante, et j’arrange votre affaire.

— Je donne vingt-cinq.

— Alors, vous n’obtiendrez rien.

— Ni eux non plus.

— Votre mobilier est très-riche, on peut le faire vendre.

— Croyez-vous qu’il vaille cent cinquante mille francs, vous qui me l’avez vendu ?