Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/70

Cette page n’a pas encore été corrigée

« — Allons ! il n’y a pas de temps à perdre maintenant. Toi, Guillaume, tu vas aller à l’église, à la mairie et chez le notaire ; vous, monsieur de Vaucloix, allez chez vos… vous savez… offrez vingt-cinq pour cent pour donner quarante, ils seront trop heureux. Moi, je me suis réservé les plus récalcitrants, et je promets de les enlever. Assemblée générale ici ce soir ! il faut que tout soit fini aujourd’hui même. Vous comprenez que nous ne pouvons publier les bancs qu’après l’arrangement signé ; si on se doutait de la chose, nous n’obtiendrions pas un sou de remise, et ce n’est pas là notre affaire. Fais bien attention, Guillaume, qu’on ne publie que dans trois jours.

— C’est convenu, mon père, dit Guillaume avec impatience ; est-ce que vous me prenez pour un imbécile ?

M. Guillaume a raison, dis-je aussitôt, emportée par le désir de rendre son impertinence à mon futur et sans m’apercevoir que la phrase que je répétais ne s’appliquait pas directement à celle qu’il avait dite.

« Guillaume fit une légère grimace qui me montra que je n’avais fait que confirmer la pauvre opinion qu’il avait de moi, et dans ma colère je frappai la terre du pied. Mon père, quoiqu’il devinât ce que je souffrais, s’irrita de ce signe d’impatience.

« — Allons, Louise, me dit-il sévèrement, pas d’enfantillage ; réfléchissez et songez à m’obéir.

— Mademoiselle m’a fait espérer ce bonheur, dit Guillaume ; puis il salua et sortit avec son père et le mien.

« Je restai seule. Telle fut ma première entrevue avec mon futur. Un hasard, en me mettant soudainement en face de lui, me donna un trouble bien naturel à une jeune fille, et me montra à Guillaume sous un aspect qu’il crut vrai et qu’il ne chercha point à rectifier. Vous verrez plus tard qu’il était de ces hommes pour lesquels une première impression est d’une grande importance par la foi qu’ils ont de l’infaillibilité de leur jugement. Édouard, vous qui me connaissez, vous savez si je suis vaniteuse ! Cependant vous devez comprendre l’humiliation d’une jeune fille qui n’est pas assez jeune pour qu’on la traite comme une enfant, qui sait qu’elle a été jugée sotte, et assez sotte pour qu’on puisse le lui dire en face sans qu’elle s’en doute. Écoutez-moi bien, Édouard, et ne vous ennuyez pas de tous ces détails de ma vie ; ils sont nécessaires pour vous faire sentir que le malheur n’est pas toujours dans ce qu’on appelle un malheur. En effet, j’étais malheureuse ce jour-là, sans que je pusse dire à personne qu’il me fût arrivé rien de malheureux. Je me contentai de pleurer en m’excitant à la résolution extrême de résister à M. de Vaucloix. Cette résolution ajoutait encore à mes angoisses, car je sentais que je