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compte triompher. Il m’avait offert la main et m’avait fait asseoir ; il se plaça auprès de moi.

« — On vent nous marier, me dit-il en minaudant ; mais cette volonté a besoin d’une haute sanction. Pensez-vous qu’elle puisse l’obtenir ?

— Vous avez vu la joie de mon père, Monsieur. Autant que je puis en juger, le roi a permis…

— Pardon, Mademoiselle ; le roi peut permettre ce que vous pouvez vouloir défendre.

« Je rougis et détournai la tête.

« — Le roi, reprit-il, peut dire oui où vous pouvez dire non… Que direz-vous ?

« Cette question si directe me blessa plus qu’elle ne m’embarrassa. Cet homme savait trop bien ce qu’il disait, à côté de moi dont le trouble devenait extrême ! J’eus recours à une de ces phrases toutes faites que l’on apprend dans les récits les plus vulgaires, et je répondis en balbutiant :

« — Monsieur, j’obéirai à mon père…

« Par un léger mouvement, M. Carin se retira de moi, et, sans que je le regardasse, je vis qu’il me considérait d’un air qui devait être d’une impertinence complète. Il se tut un moment, puis, me prenant la main, il la baisa d’un air tout particulier et reprit avec un léger accent de raillerie :

« — On n’est pas plus belle et plus… bonne.

« L’intonation de la voix, la manière dont il prononça ce mot bonne, me semblèrent une insulte. Un éclair de colère me traversa le cœur : un éclair, en vérité, car il ne dura pas assez longtemps pour m’inspirer une réponse également impertinente ou me donner la force de me retirer. Mon père rentra avec le sien.

« — Hé ! hé ! dit M. Carin, voilà la connaissance toute faite. Eh bien ! Guillaume, je te l’avais bien dit, que je te donnerais une femme de toute beauté… un peu embarrassée, un peu timide…

— Monsieur veut dire un peu bête ? repris-je aussitôt, outrée du ton de M. Carin.

— Mademoiselle a raison, dit M. Guillaume en ricanant.

« Je levai les yeux sur mon père, il était rouge et confus ; je restai ébahie de le voir accepter, sans se récrier, l’insulte qui m’était faite ; et je ne sais quelle pitié, pour lui et pour moi, me prit au cœur, lorsqu’il essaya d’arranger la phrase de M. Guillaume en ajoutant :

« — En effet, ma fille a raison, monsieur Carin ; vous avez l’air de lui faire un mauvais compliment.

— Bon, bon ! fit M. Carin, voilà un gaillard qui lui apprendra comment l’esprit vient aux filles.

« Et, avant que j’eusse le temps de m’étonner de cette nouvelle grossièreté, il ajouta :