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VII

PREMIÈRE ENTREVUE : ASSEMBLÉE DE CRÉANCIERS.

« Nous étions arrivés. Au moment où nous descendîmes de voiture, le concierge dit à mon père :

« — M. Carin est dans le salon…

— Très-bien ! très-bien ! dit mon père en l’interrompant. Venez, ma fille ; allons lui annoncer cette heureuse nouvelle.

« Il m’entraîne, et nous entrons dans le salon.

« — La voilà ! la voilà, s’écrie mon père en montrant l’ordonnance du roi.

— Signée ? dit M. Carin en s’élançant vers mon père.

— Signée ! repartit celui-ci. Venez par ici, que je vous conte tout cela.

« Et tous deux sortent ensemble et me laissent seule au salon avec un jeune homme qui était à notre entrée dans l’embrasure d’une fenêtre et que M. de Vaucloix n’avait pas sans doute aperçu. Il m’avait saluée silencieusement, et je lui avais à peine rendu son salut que mon père et M. Carin avaient disparu. Je demeurai d’abord fort embarrassée ; car, en passant devant lui, je rencontrai le regard ou plutôt le lorgnon de ce jeune homme dirigé sur moi. Je le trouvai si impertinent que je ne baissai pas les yeux et le regardai en face. Je puis vous dire la vérité, Édouard : il était d’une rare beauté. Il s’aperçut du sentiment de colère qu’il m’avait inspiré, et il baissa ce lorgnon avec une grâce si particulière qu’on eût dit d’un vaincu qui rendait son épée. J’allais me retirer, lorsqu’il s’avança vers moi, en me disant sans aucun embarras :

« — Mademoiselle de Vaucloix veut-elle bien me permettre de me présenter moi-même ?

« Je ne sus que répondre, je me sentis rougir et je ne pus que faire une légère inclination. J’étais d’autant plus dépitée de mon embarras, que je voyais qu’il était observé et qu’il l’était par un homme qui devait y mettre une vive curiosité ; car j’avais entendu, moi, toute la phrase du domestique que mon père avait interrompu : M. Carin est au salon avec monsieur son fils, avait-il dit. C’était donc mon futur mari que j’avais en face de moi. Rappelez-vous toutes les sensations que je venais d’éprouver, ce mystère qui m’entourait, cette pitié qui m’avait accueillie, l’étrangeté de tout ce qui se passait, et, pour comble de singularité, cette entrevue soudaine, sans intermédiaire, sans préparation. Il y avait