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« Le roi écouta avec attention ce que lui répondit mon père, qui, voulant sans doute conclure son discours par quelque chose de puissant, tira des papiers de sa poche et les remit à Charles X. Mais à peine Sa Majesté les eut-elle dans les mains qu’il s’écria :

« — Pardon, sire, je me suis trompé, ce n’est pas cela.

« Le roi retint les papiers et regarda mon père avec une sévérité qui lui fit baisser les yeux.

« — Laissez, dit-il, laissez, monsieur de Vaucloix ; voilà qui m’instruira mieux que tout ce que vous pourrez me dire.

« Puis le roi se mit à parcourir les papiers. De loin, à leur format et au cordonnet rouge dont ils étaient cousus, je les reconnus pour ceux qui avaient si vivement irrité mon père. La figure de Sa Majesté devenait de plus en plus sombre à mesure qu’elle les parcourait et elle finit par s’écrier :

« — C’est effrayant un pareil désordre ! une pareille somme !

« M. de Vaucloix fit un signe au roi, qui leva les yeux sur moi. Je compris qu’il avait été averti par ce signe de ne pas dire devant la fille des paroles qui pourraient accuser le père. En effet, il me regarda un moment, et je vis que j’étais devenue le sujet de leur entretien ; car leurs gestes et leurs regards se dirigeaient à leur insu de mon côté. Ce nouvel entretien à voix basse eut un terme, et j’entendis le roi dire avec sévérité :

« — Si je le fais, Monsieur, ce sera pour elle, pour qu’elle ne meure pas dans la misère ; ce sera pour la dignité du nom que vous portez.

« Après ces paroles que j’entendis, quoique le roi les eût prononcées d’une voix peu élevée, il s’avança vivement vers moi. Mon père marchait derrière lui ; son visage était bouleversé ; il leva sur moi des regards désespérés, et joignit les mains comme pour me supplier. Ce geste me fit une peine horrible.

« — On veut vous marier, Mademoiselle ? me dit brusquement le roi.

— Oui, sire.

— Et vous êtes heureuse de ce mariage ?

« Je regardai mon père, qui fit un mouvement.

« — Laissez-la parler, Monsieur, lui dit le roi, qui s’aperçut du mouvement.

« Puis il reprit :

« — C’est avec joie que vous acceptez ce mariage ?

— Oui, sire, avec joie, répondis-je d’un ton si exalté que le roi en fut surpris.

« Sa Majesté me regarda tristement et d’un air de pitié profonde, puis elle me dit doucement :

« — C’est bien, Mademoiselle ; je n’ai pas le droit de m’opposer à un si noble dévouement. C’est bien !

« Il tira le cordon d’une sonnette.