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détails, pour bien vous faire comprendre comment je fus tout à coup saisie dans ma vie imprévoyante par la menace d’un malheur que je ne pouvais préciser, comment je sentis que je marchais dans une route pleine d’écueils sans les voir distinctement autour de moi, comment je dus craindre le but où l’on me menait, sans savoir où il était et ce qu’il était. C’est que ce fut là toute ma vie : des craintes sans fondement matériel, et que je ne pouvais cependant repousser comme des folies ; un malheur qui n’avait pas de corps et qui cependant était toujours près de moi, comme l’ombre de ma vie ; la peur d’un fantôme invisible, une douleur sans blessure apparente ! Mais toutes ces réflexions vous diront moins bien ce que j’ai souffert que le récit qui me reste à vous faire.

« Nous arrivâmes à la chapelle. Le roi n’était pas encore arrivé. Je m’aperçus que j’étais regardée avec curiosité ; mais la sainteté du lieu borna toute cette attention à quelques regards furtifs qui retournaient vite aux pages ouvertes d’un livre de messe. Quelques mots furent murmurés comme eussent pu l’être ceux d’une prière. Je pris la place qui m’avait été réservée, et bientôt le roi parut. J’avais été élevée dans des habitudes religieuses plutôt que dans de sincères pensées de religion. Je remplissais mes devoirs de chrétienne avec respect plutôt qu’avec élan ; jamais jusqu’à ce jour je ne m’étais tournée vers Dieu pour lui demander miséricorde et secours du plus profond de mon cœur. Je n’avais pas encore senti le besoin de ce secours et de cette miséricorde. Ce jour-là mon effroi donna un sens aux prières, pour ainsi dire muettes, que j’adressai à l’Éternel. Comme la plupart des femmes qui m’entouraient, comme je l’aurais fait peut-être moi-même en toute autre circonstance, je n’assistai point au service divin comme à un spectacle plus solennel où le recueillement est un devoir : non, je priai avec ferveur et désespoir, et ce fut à peine si je m’aperçus que les derniers mots de la cérémonie venaient d’être prononcés. M. de Vaucloix m’avait recommandé de venir le rejoindre aussitôt après la messe finie. Je sortis, et il m’entraîna rapidement dans une longue galerie. Puis il s’arrêta, en me disant :

« — Le roi va passer ; faites attention à lui répondre convenablement, s’il vous interroge.

« Charles X parut bientôt en effet. Il était suivi de M. le dauphin et de madame la dauphine. Il accueillit avec une grâce pleine de bienveillance quelques placets qui lui furent remis. Il causait d’un air de satisfaction avec les personnes qui l’accompagnaient ; mais, lorsqu’il aperçut mon père, un léger nuage de mécontentement parut sur son visage.

« — C’est vous, Vaucloix ? lui dit-il.