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— Non, Louise, me dit-il en se remettant soudainement ; je touche au contraire au but de tous mes vœux, à un riche établissement pour vous avec un homme distingué et appelé à une fortune politique aussi élevée que l’est sa fortune pécuniaire.

— Est-ce du fils de M. Carin que vous voulez parler ?

— C’est de lui : un homme bien au-dessus de sa naissance, un homme à larges idées et à grandes conceptions, un homme dont je suis fier d’assurer la position et l’avenir.

« Je ne comprenais pas bien mon père, mais il me semblait que ces éloges sortaient péniblement de sa bouche. Je pris ma résolution à deux mains pour frapper un grand coup, et je lui dis en tremblant cette phrase qui me semblait le comble de l’audace :

« — Je ne l’ai pas encore vu, ce…

— Oh ! vous le verrez, me dit M. de Vaucloix avec un ton de raillerie cruelle : on ne vous mènera pas à l’autel comme une victime. Le temps est passé de ces mariages barbares auxquels de nobles familles sacrifiaient le bonheur de leurs enfants. N’ayez pas peur de toutes ces sottises, si habilement exploitées par les philosophes et les jacobins, si stupidement accueillies par les bourgeois libéraux.

« Le ton dont ces paroles furent dites était plus qu’il n’en fallait pour m’empêcher de faire d’autres observations. Nous arrivâmes bientôt au château. Ce fut alors seulement que mon père fit attention à moi. Il remarqua ma pâleur et mon air de tristesse, et me dit brusquement :

« — Qu’avez-vous ? que vous est-il arrivé ? que voulez-vous qu’on pense en vous voyant une figure pareille ? On croira que je vous sacrifie… que je vous…

« Il s’arrêta probablement devant le mot qu’il allait prononcer ; mais, si ignorante que je fusse, je le devinai. Cette horrible phrase de M. Carin : « Je ne prétends pas donner mon argent pour qu’on me fasse une mine de pendu, » me revint à l’esprit. Je compris qu’on pouvait dire qu’il me vendait. J’éclatai en larmes. Mon père frappa du pied avec colère, puis, se remettant :

« — Allons, Louise, reprit-il, soyez raisonnable, rien n’est fini, et, si ce jeune homme vous déplaît, nous verrons ailleurs ; mais soyez calme devant tout ce monde qui va nous observer. J’ai assez d’ennemis à la cour qui ne demandent pas mieux que de me calomnier.

« En parlant ainsi, il m’essuyait les yeux avec mon mouchoir. J’arrêtai mes larmes.

« — Voilà qui est bien, ma Louise ; vous êtes une bonne fille. Espérez, espérez, nous serons bientôt heureux.

« Nous descendîmes de voiture, et il me conduisit vers la chapelle.

« Édouard, je vous ai raconté toute cette scène dans ses moindres