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D’ailleurs, parler au roi, me jeter à ses pieds, faire un acte violent de ma volonté, comment en aurais-je eu la force, moi qui ne me sentais pas celle d’opposer un refus à mon père, dont l’autorité n’avait jamais été que bienveillante pour moi ?

« Si je vous raconte tout cela, Édouard, c’est pour bien vous montrer que je suis une très-faible femme, qui ne puis rien pour les autres ni pour moi-même.

« Le lendemain arriva. M. de Vaucloix me fit dire de me tenir prête pour l’heure de la messe. Je lui fis demander un instant d’entretien ; on me répondit de sa part que nous aurions le temps durant le trajet de l’hôtel aux Tuileries. Je descendis donc dans le salon, et j’entendis dans le cabinet de mon père la voix de M. Carin ; j’allais me retirer, lorsqu’il ouvrit la porte et dit d’un ton péremptoire :

« — Faites entendre raison au roi. Pour ma part, je n’ai qu’une chose à vous dire, comme les Espagnols : Si no, no.

« Je me détournai pour ne pas voir en face cet homme qui me semblait disposer de moi bien plus que mon père lui-même. Il s’arrêta, puis reprit :

« — Et, après le roi, faites entendre raison à Mademoiselle ; car je ne prétends pas donner mon argent pour qu’on me fasse une mine de pendu. Merci !

« Il sortit, et je levai les yeux sur M. de Vaucloix : il était rouge de honte. Je devinai que ce n’était ni d’indignation ni de colère, car il évita mes regards.

« — Allons, allons, me dit-il, l’heure est venue.

« Il passa devant moi. Je le suivis en pensant qu’une autre que moi eût osé ne pas le suivre, et eût provoqué une explication. Quand j’arrivai dans la cour, il était déjà monté en voiture ; il froissait avec colère des papiers qu’on venait de lui remettre. Son irritation était si grande que je ne pensai pas devoir lui adresser la parole. C’est à peine s’il fit attention à moi, il lisait ces papiers avec rage et en murmurant :

« — Il faut en finir. Assez, assez…

« Quand il fut plus calme ; il plia ces papiers, les mit dans sa poche et en tira d’autres qu’il lut attentivement et avec une sorte de complaisance.

« — Il ne peut me refuser, disait-il tout bas à chaque phrase : ce serait trop d’ingratitude. Et cependant ils sont si ingrats !

« J’avais presque oublié ma douleur devant le chagrin de mon père, et je lui dis doucement :

« — Il vous est arrivé de tristes nouvelles, n’est-ce pas ?

— D’où le savez-vous ?

— J’ai cru m’en apercevoir.