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pensez, me répondit-il sans prendre garde que je lui avais tourné le dos ; car je vous ai trouvé ce que vous désirez, un mari.

— Un mari ! m’écriai-je en me retournant.

— Hai ! hai ! hai ! fit-il en clignant des yeux, comme le mot vous fait dresser l’oreille !

— Monsieur, lui dis-je, blessée de cette façon de traduire mon étonnement, permettez-moi de ne pas continuer un entretien que mon père ne trouverait pas convenable.

— Pardon, mille pardons : mais c’est parce que j’y suis autorisé par monsieur votre père que je me permets de vous parler comme je le fais.

« Par un mouvement de surprise, je regardai autour de moi pour chercher M. de Vaucloix, et je l’aperçus dans un coin du salon qui m’observait. Un léger signe de tête m’avertit qu’il désirait que j’écoutasse M. Carin.

« Puisque j’ai écrit ce nom, vous devez comprendre quel était l’homme qui me parlait ainsi. Il continua, et me dit :

« — Vous le voyez, je ne suis pas si inconvenant que mes gros souliers en ont l’air ; et, puisque le mot de mari est lâché, il est inutile que je batte l’eau plus longtemps. Il s’agit de monsieur mon fils.

— Votre fils ! lui dis-je d’un air de stupéfaction, et en le regardant de la tête aux pieds, comme pour deviner quel pouvait être le fils d’un pareil personnage.

« Aucune pensée n’échappait à cet homme, et il me répondit d’un ton d’amère plaisanterie :

« — N’ayez pas peur ; il se met bien, monsieur mon fils, c’est un faraud qui se brosse les ongles avec du savon de Windsor et qui se met de l’huile antique dans les cheveux. C’est un homme comme il faut, qui parle du bout des lèvres et qui a un lorgnon. Il est baron ; je lui ai acheté un titre de baron, je lui achèterai un titre de marquis, si vous voulez être marquise.

« Je n’eus pas la force de répondre à cette grossière proposition ; mais je fus si humiliée que je détournai la tête pour cacher les larmes qui me venaient aux yeux. M. Carin s’en aperçut, se leva brusquement et me dit :

« — Écoutez, Mademoiselle, vous voilà avertie : songez-y toute la nuit. Demain je vous présenterai le jeune homme, vous vous déciderez demain au soir ; il faut que cette affaire finisse, je n’ai pas de temps à perdre.

« Il s’éloigna et me laissa stupéfaite de cette façon d’agir et alarmée de cette proposition de mariage comme de la menace d’un malheur. Je cherchai à m’approcher de M. de Vaucloix ; mais il m’évita avec un soin qui me fit comprendre qu’il ne voulait aucune explication. Contre mon habitude, je demeurai dans le salon jusqu’à l’heure où il n’y avait plus que quelques joueurs acharnés,