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— Qu’est-ce que cela veut dire ? reprit Luizzi.

— Lis, répondit le Diable. Est-ce que dans les romans nouveaux tu t’arrêtes à toutes les phrases que tu ne comprends pas ?

— Non, j’aurais trop à faire ; mais ceci n’est pas sans doute un roman, et par conséquent le cas est exceptionnel.

— Aussi le résultat le sera-t-il ; car tu comprendras.

— Ce sont encore des malheurs ?

— Peut-être.

— Des crimes ?

— Peut-être.

— D’où sort donc cette femme ?

— D’une des plus nobles familles de France.

— Et elle a été malheureuse ?

— Peut-être plus qu’Eugénie.

— Mais à coup sûr elle n’a pas été l’objet d’un marché honteux comme cette pauvre femme. Sa haute position l’en a préservée.

— Lis, tu verras si la fille de noble famille et la fille du peuple ont quelque chose à s’envier.

Luizzi, qui connaissait les allures du Diable et qui savait qu’on ne lui faisait point dire ce qu’il voulait taire, se décida à emporter le manuscrit. Il se jeta sur son lit, fatigué qu’il était d’avoir fait quelques pas, et voici ce qu’il lut.



LA FILLE D’UN PAIR DE FRANCE.


XLII

EXPOSITION.


« Je suis la fille du marquis de Vaucloix, que l’émigration ruina comme tant d’autres. En 1809, il épousa ma mère à Munich ; elle était Française comme lui, et comme lui d’une grande famille. Ma naissance lui coûta la vie, et j’avais à peine quatre ans lorsque mon père rentra en France en 1814. Le roi Louis XVIII, voulant récompenser sa fidélité, le nomma pair de France et lui donna une charge dans sa maison. Les émoluments de cette charge ne suffirent point aux dépenses de mon père, et, lorsque l’indemnité du milliard fut votée, la part qui lui revint ne lui servit qu’à payer les nombreuses dettes qu’il avait contractées depuis son retour en France. Quant à moi, j’étais élevée dans une pension où je recevais une éducation telle qu’on croyait devoir la donner à une jeune fille d’un haut rang et d’une grande fortune. Je dessinais bien, je chantais avec goût, je dansais à merveille et je m’habillais à ravir. J’avais une opinion sur la littérature courante, j’avai