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Le lendemain, quand il s’éveilla, il se retrouva dans la même chambre : rien n’était changé, seulement il aperçut sa sonnette à côté de lui. Il appela Satan et lui dit :

— J’ai dormi d’un sommeil admirable, quoique assez court ; mais en pensant que ce soir je vais m’endormir pour vingt mois, ce que je crains surtout, c’est l’emploi de ma journée. Vingt mois de sommeil, il y a de quoi en devenir fou.

— Lis pour te distraire, reprit le Diable.

— Peux-tu me faire donner des livres ?

— Je puis mieux faire, je puis t’en faire prendre, je puis même t’en fournir d’inédits. Suis-moi.

Le Diable marcha devant Luizzi, qui le suivit. Ils arrivèrent bientôt dans une chambre assez bien meublée. Luizzi prit les fameuses lunettes que le Diable lui avait déjà prêtées et qui lui faisaient voir clair en plein minuit ; il aperçut alors une femme d’une rare beauté qui dormait d’un profond sommeil.

— Quelle est cette femme ? dit Luizzi.

— Madame de Carin, la femme de ce charmant garçon avec qui tu as passé une soirée si délicieuse.

— Une horrible soirée !

— Pour toi, peut-être ?

— Mais pas pour toi, Satan.

— Oui, j’ai un peu ri, vous avez été tous d’abominables gredins.

Il fit entendre alors son petit rire de notaire qui arriva au cœur de Luizzi comme un remords et à son oreille comme un son faux. Le baron secoua violemment la tête et reprit :

— C’est toi qui es abominable, toi qui t’acharnes à me montrer le monde sous les plus hideux aspects. Mais laissons cela, et dis-moi pourquoi cette madame de Carin loge dans cette prison : a-t-elle commis quelque crime ?

— Tu vas le savoir, repartit le Diable.

Il ouvrit le secrétaire de madame de Carin, y prit un manuscrit et le remit à Luizzi.

— Puisque tu as peur de mes récits, lui dit-il, puisqu’il te semble que la manière dont je te montre le monde est une abominable satire, juge-le par toi-même. Je me bornerai à te mettre sous les yeux les pièces du procès. Voici la première et la plus importante.

Luizzi prit le manuscrit et le lut avec attention. Il commençait ainsi :

« Édouard, vous dont les soins m’aident à supporter mes souffrances et l’horreur de ma position, vous m’avez demandé l’histoire des malheurs qui m’ont amenée où je suis. Apprenez-la, et pardonnez-moi les détails minutieux qui l’accompagneront ; car il faut que je vous persuade encore plus de ma raison que de mon malheur. »