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de Bador, qui remuera ciel et terre pour faire condamner l’accusé et qui s’est emparé de l’affaire. D’ailleurs, les antécédents du meurtrier ne sont pas de nature à attirer l’indulgence des juges : au moment où on l’a arrêté pour son crime, il allait être arrêté pour dettes et ensuite pour une escroquerie à laquelle il a prêté les mains.

— C’est donc un repris de justice ?

— Pas encore.

— Et quelle est cette escroquerie ?

— Il a introduit à Paris chez une madame de Marignon un certain marquis de Bridely, lorsqu’il savait que cet homme avait lui-même pris un faux nom par l’acte faux qui le légitimait. Et comme ce marquis de Bridely a escroqué une assez forte somme d’argent chez cette dame et a disparu depuis, on suppose que le baron de Luizzi est son complice.

— Le baron de Luizzi ! s’écria Crostencoupe qui causait ainsi avec le juge, pendant que le porte-clefs préparait tout l’attirail nécessaire pour écrire ; le baron de Luizzi ! Je le connais.

— Eh bien ! le voilà.

— Il est fou, archifou. C’est moi qui l’ai guéri une première fois, mais il m’a échappé, et la folie l’a repris tout de suite, si bien qu’il est parti sans me payer.

— Ainsi, dit le juge, vous croyez qu’il est inutile de l’interroger ?

— Parfaitement inutile.

— Cela suffit, dit le juge, nous ferons constater la folie.

Luizzi allait s’écrier ; le Diable lui fit un signe, et on les laissa seuls.

— Tu vois ton seul moyen de salut, baron ! La folie bien constatée te sauvera du danger d’une instruction judiciaire et d’un jugement.

— Tu me trompes encore, Satan.

— Quand t’ai-je trompé, mon maître ? est-ce quand tu m’as demandé l’histoire de madame de Marignon, dont tu n’as profité que pour essayer une mauvaise action dont tu portes aujourd’hui la peine ? t’ai-je trompé lorsque tu m’as demandé l’histoire d’Eugénie, quoique tu aies été sur le point de m’échapper et de trouver ce qui doit te délivrer de ma servitude, le bonheur ? ne t’ai-je pas même montré du doigt ce qui devait te décider à épouser cette femme ? est-ce ma faute si tu n’as pas su lire jusqu’au bout, si, comme tous les hommes, tu t’es fié aux premières apparences des choses, et si tu es resté ce que tu es et ce que sont tous les hommes, égoïste, cupide et présomptueux ? non, ce n’est pas ma faute, mon maître ; non, je ne t’ai pas trompé.

— Mais ma fortune ? s’écria Luizzi.

— Donne-moi les vingt mois que je te demande, et je te tirerai d’ici riche, innocent, et, ce qui est plus, considéré.

— Comment feras-tu ?

— Je te le dirai alors.

— C’est vingt mois de sommeil, dit Luizzi.

— Voilà tout.

— Prends-les donc.

Le Diable toucha Luizzi du bout du doigt, et celui-ci s’endormit.