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— Elle est au greffe.

— Je suis perdu !

— Voilà un joli mot de vaudeville.

— Laisse-moi, Satan. J’ai perdu mon talisman, mais j’ai mieux profité de tes leçons que tu ne le crois : je n’ai pas oublié l’histoire d’Eugénie, et comment elle t’a échappé.

— Parbleu ! tu me fais penser à elle.

— Qu’est-elle devenue ?

— L’avoué prie Dieu tous les jours pour la conservation de sa femme, et tous les jours sa fille me prie pour la mort de sa mère.

— Pauvre mère !

— Hé ! hé ! hé ! fit le Diable, tu vois que je tiens mes promesses.

— Excepté avec moi.

— Ne t’ai-je pas tiré de ton lit, ne t’ai-je pas rendu à la liberté gaillard et bien portant ?

— Oui, pour me plonger dans une plus horrible situation.

— À laquelle je puis encore t’arracher.

— Comment cela ?

— C’est mon affaire.

— À quel prix, veux-je dire ?

— Le voici. J’ai fait marché avec toi pour t’arracher de ton lit, à la condition de te marier dans un délai de deux ans ou de me donner dix ans de ta vie. Je vais te proposer un autre marché.

— Et lequel ? Il me semble que tu n’en peux faire de plus avantageux dans la position où tu m’as mis. Si je suis condamné, je ne me marierai pas, et tu auras ces dix années de ma vie.

— Qui sait, mon maître ? j’aurai peut-être besoin de toi dans deux ans.

— Et quelle est la nouvelle convention que tu me proposes ?

— Voilà deux mois que notre marché est passé, il te reste encore vingt-deux mois pour chercher une femme. Donne-moi vingt mois et je te tiens quitte de tout, même du mariage.

— En ce cas, Satan, tu sais que je ne serai pas condamné.

— C’est possible, dit le Diable ; veux-tu en courir la chance ? Adieu.

— Un moment, reprit Luizzi.

— Dépêche-toi, maître, c’est aujourd’hui le 26 juillet 1830 ; le 26 février 1832 je te délivre et te rends ta liberté, ta fortune, ta bonne réputation qui sont perdues.

— Tu me trompes encore.

— Regarde !

Comme le Diable prononçait cette parole, on ouvrit la porte de la prison, et un juge entra accompagné d’un greffier. Ils étaient suivis d’un médecin, et Luizzi reconnut avec terreur le fameux docteur Crostencoupe, à qui le savant mémoire qu’il avait publié sur la guérison de Luizzi avait valu la place de médecin des prisons. Le juge lui dit :

— Voyez, Monsieur, si l’accusé est en état de subir un interrogatoire.

— Et avez-vous des nouvelles de la victime ?

— La blessure est grave et paraît mortelle, l’accusé sera probablement condamné. Niquet était adoré dans le pays, c’était le meneur des idées libérales ; le jury est composé, de libéraux qui seront d’autant plus rigoureux que l’accusé est un homme ayant un nom, un titre, un homme qui tient à la vieille noblesse ; l’affaire est mauvaise. Les ayants-cause de Niquet se sont portés partie civile sur l’instigation