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de Luizzi !

— À la superbe Jeanne ! répéta-t-on.

— Embrassez votre femme, cria M. Rigot.

Et Luizzi l’embrassa.

Un rire aigre et perçant retentit alors au-dessus de tous les cris de l’orgie, et il sembla à Luizzi que tout ce qu’il voyait prenait des formes extraordinaires : c’était une assemblée de diables, cornus, bizarres, monstrueux, ayant des serviettes au cou et buvant des verres qui ne désemplissaient jamais. Il lui sembla encore que le notaire, ou plutôt Satan, était monté sur la table, s’était assis sur une pointe de couteau, et riait de son grand rire de Diable. Puis il l’entendit crier :

— Ah ! ah ! ah ! mon maître, te voilà donc plus bas que tous ceux que tu as méprisés !… Tu as pu épouser le seul ange, la seule femme que je n’aie pu vaincre sur la terre, et tu l’as dédaignée parce que tu l’as crue pauvre. Ah ! ah ! mon maître, la cupidité t’a assez aveuglé pour t’empêcher de lire jusqu’au bout l’écrit qui devait t’éclairer et que je t’ai mis dans les mains ; et toi, baron de Luizzi, noble depuis 908, riche à millions, âgé de trente-deux ans, tu as accepté pour femme la fille d’un manouvrier, la veuve Turniquel, âgée de soixante-quatre ans. Ah ! ah ! mon maître, tu as vraiment quelque chose de grand et de noble… Allons, à ta santé et à ton honneur ! Maintenant, trinque avec moi, mon maître, trinque avec moi.

À cet aspect, à ces paroles, Luizzi se sentit saisi d’une espèce de frénésie, et, saisissant un couteau, il s’élança sur l’infernal fantôme et le lui plongea dans le sein. Un horrible cri partit, et tout aussitôt le charme s’évanouit, et il entendit vingt voix murmurer autour de lui :

— Il a tué le notaire, il a tué le notaire.

— Non, s’écria Luizzi, j’ai tué le Diable, le Diable est mort.

Puis il tomba sous le poids de l’horreur qui le tenait.

Quand il revint à lui, il était étendu sur un lit et dans une chambre dont les barreaux garnis de fer lui apprirent qu’il était en prison ; il vit Satan debout devant lui.

— Pas encore, lui dit le Diable, je ne suis pas encore mort, mon maître.

— Où suis-je ?

— En prison.

— Pourquoi ?

— Pour avoir tué le notaire Niquet.

— Moi ?

— Oui, toi, dans un moment d’ivresse, il est vrai ; ce qui probablement te donne la chance de finir tes jours aux galères.

— Aux galères, moi !

— Aimes-tu mieux être guillotiné ?

— Satan, c’est encore un rêve que j’ai fait.

— Peut-être.

— Oh ! ne t’expliqueras-tu jamais avec moi ?

— Je n’ai pas le temps aujourd’hui.

— Et quand te reverrai-je ?

— Dans l’autre monde, sans doute.

— J’ai donc égaré ma sonnette ?