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elle lui échappa, et, au moment de tomber, elle tendit la main vers Luizzi, qui, emporté par un délire insensé, s’élança vers elle… Mais, au moment où sa main allait toucher la main de Juliette, une autre main l’arrêta. Tout disparut, et il vit Caroline à genoux devant lui : elle était pâle, harassée, mourante.

— Armand ! lui dit-elle alors, tu es sauvé !

Le baron releva sa sœur, et, l’ayant longtemps considérée, puis serrée contre son cœur, il lui dit :

— Ah ! c’est toi, n’est-ce pas, Caroline, c’est toi… toi qui m’as sauvé ?

— Oui, c’est elle, lui dit une voix bien connue, et qui fit détourner la tête à Luizzi ; et il reconnut Léonie.

— Oui, ajouta une autre voix, c’est elle qui vous a sauvé, et il reconnut Eugénie.

À l’aspect de ces trois femmes, toutes les terreurs profondes qu’il avait éprouvées, tous les déchirements affreux qu’il avait subis, tous les désirs frénétiques dont il avait été dévoré un instant auparavant, s’effacèrent de son âme. Un calme doux, serein et bienfaisant y succéda, il n’éprouva plus qu’une tristesse vague, une mélancolie qui ne semblait être que le ressentiment d’une douleur qui s’effaçait, et il leur dit :

— Oh ! venez, mes anges, venez, vous qui êtes accourues vers moi, et qui ne m’avez pas abandonné !

— Non, Armand, dit Léonie, ne nous appelez pas ainsi, il n’y a qu’un ange devant vous, et cet ange c’est Caroline. C’est elle qui, nous ayant trouvées malades dans la misérable auberge de Bois-Mandé, nous a rendu le courage ; c’est elle qui nous a guéries et nous a sauvées toutes deux ; c’est elle qui, lorsque cette pénible tâche était achevée, sachant quels dangers vous menaçaient et ayant appris comment on pouvait vous sauver, n’a pas hésité entre le mépris du monde et la justice ; car moi, Armand, fatiguée de malheur, j’en étais venue à douter si je devais braver l’opinion à ce point d’accuser mon meurtrier du meurtre de mon mari pour sauver mon amant. Mais elle n’a pas hésité, elle, à accuser le criminel pour sauver l’innocent, et elle l’a fait avec un courage bien vertueux : car il lui a fallu braver l’ironie des juges eux-mêmes qui disaient que c’était pour se venger de son abandon qu’elle accusait son époux, et le monde a répété cette calomnie, et elle l’a méprisée ; il a fallu obtenir de Jacques Bruno le témoignage de la vérité ; il lui a fallu ce courage pour sauver un homme qui semblait ne pas pouvoir lui en être reconnaissant, car alors votre raison était perdue, Armand ; mais elle a voulu pour l’insensé ce qui était juste, et, après vous avoir arraché à l’infamie, c’est elle qui vous a arraché à la mort ; c’est elle qui a passé près de vous toutes les nuits, tous les jours, épiant vos