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Madame du Bergh offrant de la tisane à son confesseur ;

Madame de Marignon présidant un conseil de charité pour l’éducation des jeunes filles ;

Madame de Crancé au pied du lit de sa fille qui venait d’accoucher, et lui enseignant le devoir de mère envers leurs enfants ;

M. Crostencoupe, nommé par acclamation membre de l’Académie des sciences ;

Pierre, l’ancien valet de chambre du baron, marié à madame Humbert, la garde-malade, et tenant dans la rue Richelieu un riche hôtel garni. Luizzi reconnut ses meubles ;

Louis, devenu cocher particulier de l’empereur de Russie ;

Akabila, retourné dans son pays et ayant repris le trône de son père ;

Hortense Buré, chassant de chez elle une servante qui avait fait un enfant. Tout cela passait, repassait, le sourire aux lèvres, la joie dans les yeux, le calme sur le visage. Puis il sembla tout à coup au baron qu’une musique, si extraordinaire qu’il n’aurait jamais pu s’en faire d’idée quand même il eût assisté aux orgies du bal Musard, commençait une espèce de galop inouï. Alors toutes ces figures se mirent à danser, à courir, à voler : elles allaient, elles venaient. Le plaisir ruisselait de leurs yeux, leur voix était joyeuse : c’était un charme que de les voir tous si légers, si frivoles, si insouciants. Ils passaient et repassaient devant Luizzi, lui souriant, l’appelant ; puis, au son de la musique, à l’ardeur de la danse, se mêlaient des parfums enivrants, et ce fut un délire, une joie où tous semblaient nager avec délices ; et Luizzi sentait l’activité de tous ces mouvements agiter son corps, les accents fiévreux de cette musique irriter son âme, l’ivresse de ces parfums l’inonder et le pénétrer ; et, comme il allait crier à Satan de faire disparaître cet infernal tableau, il vit tout à coup Juliette, Juliette valsant, Juliette penchée sur un homme dont le visage échappait toujours aux regards de Luizzi… Oh ! que Caroline avait raison lorsqu’elle disait que rien ne pouvait rendre la grâce de cette taille flexible, l’abandon luxurieux de ce corps élancé ! Elle tournait, elle tournait, et sa robe, fouettée par le vent, dessinait les formes fluides et souples de son corps ; ses cheveux volaient autour de sa tête ; son œil, à demi fermé, vibrait et haletait, pour ainsi dire, lançant autour d’elle des regards trempés de volupté ; sa bouche, entr’ouverte, montrait l’émail de ses dents ; ses lèvres frémissaient ; tout son corps semblait tendu dans un paroxysme effréné d’amour, et Luizzi sentait remuer en lui les désirs ardents que cette fille lui avait sans cesse inspirés, lorsque tout d’un coup elle sembla défaillir et se pâmer dans les bras de son danseur ;