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de s’écouler n’avaient pas duré une minute. Quoiqu’il eût douze heures devant lui, il se hâta d’appeler Satan et il lui dit :

— À nous deux, maintenant ! Mon choix est fait.

— Je t’attends, reprit le Diable ; et, aussitôt que tu m’auras dit ce que tu veux, tu l’auras. Ce sera ensuite à toi à être heureux, si tu le peux.

— Tu vas le savoir, lui dit Luizzi ; mais, auparavant, il faut que tu me dises comment mon innocence a été reconnue, afin que je ne reste pas dans le monde avec cette ignorance qui a failli déjà m’être si fatale.

— Tu es resté en prison dix jours, en voilà vingt qu’on t’a transporté ici. Tout ce temps, tu es resté dans un état d’imbécillité qui fait que personne ne s’étonnera de ce que tu as perdu le souvenir de tout ce qui s’est passé à cette époque ; car on n’a pas de souvenir quand on n’a pas d’idées.

— Mais pourquoi suis-je sorti de prison ?

— Parce que Donezau a été reconnu pour l’assassin du comte de Cerny ; il a été retenu sur le témoignage de Jacques Bruno, qui, poursuivi pour le meurtre de Petithomme, avait échappé jusque-là à la vindicte publique. Traduit en jugement pour un vol qu’il avait commis sur la grande route, il avait caché son nom pour qu’on ne reconnût pas en lui l’assassin du chouan Petithomme. Donezau a eu la maladresse de le reconnaître pour Jacques Bruno, et celui-ci s’en est vengé en le reconnaissant pour l’assassin de M. de Cerny qu’il avait vu tirer sur le comte du taillis où il se tenait caché.

— Enfin, reprit le baron, le crime est arrivé à son juste châtiment, le vice a trouvé sa récompense !

— Tu crois ? dit le Diable avec une expression indicible ; si c’est cette persuasion qui t’a dicté ton choix, regarde ! LXIV

LANTERNE MAGIQUE DU DIABLE.

Aussitôt il sembla que l’un des côtés de la chambre se fût changé en un vaste théâtre sur lequel on jouait un drame dont Luizzi était le spectateur. Et il vit d’abord une nombreuse assemblée d’hommes : quelques-uns étaient assis devant une table et d’autres jetaient des petits billets écrits dans une urne. C’était une élection de députés. Une foule avide était amassée à la porte de cette assemblée : on parlait, on s’agitait, on s’interpellait. On eût dit que l’issue de cette élection était d’un grand intérêt pour toute la ville ; il ne s’agissait rien moins que d’un ballottage entre les deux