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— Oui, Henri a dit cela, Henri s’est accusé lui-même. Que veux-tu, mon cher ? le crime aurait trop beau jeu s’il n’avait pas ses indiscrétions : Dieu l’a voulu ainsi. Le cadavre enterré à quelques pieds sous terre rend des exhalaisons qui avertissent de sa présence ; l’eau fait flotter à sa surface les victimes qu’on lui a confiées ; le feu dévore les corps sans effacer le trou des blessures ; les intestins gardent la trace du poison. L’âme de l’homme n’est pas plus forte que tout cela, le remords sue par tous les pores de son corps et le crime monte et flotte aux bords des lèvres. Oui, Henri Donezau dit cela ; et, comme madame de Cerny ne put cette fois dominer l’épouvante qui s’empara d’elle, Henri comprit la faute qu’il venait de commettre. Sans doute il aurait étouffé à l’instant même, par la mort de Léonie, le soupçon qu’il venait d’exciter, mais il était grand jour, un postillon était à cheval devant lui ; puis il réfléchit que cette femme était étrangère et ne devait avoir aucun intérêt à le perdre et à sauver le baron de Luizzi. Cependant il voulut s’assurer de ce qu’était cette femme, et, feignant de n’avoir remarqué ni son trouble ni sa propre indiscrétion, il lui dit avec quelque politesse :

« — Du reste, Madame, ne pourrais-je savoir qui je dois remercier du bon service que vous venez de me rendre ?

— Mon Dieu, Monsieur, lui dit-elle, mon nom vous est sans doute fort inconnu ; je m’appelle madame d’Assimbret. »

Cela n’apprit pas grand’chose à Henri ; mais l’hésitation qu’elle avait mise à prononcer ce nom le persuada qu’elle avait voulu cacher celui qui lui appartenait véritablement. Ils arrivèrent ainsi jusqu’à Bois-Mandé. Le premier soin d’Henri fut de demander au postillon le véritable nom de la personne avec laquelle il était revenu du château de M. de Paradèze. Tu comprends quelle dut être son épouvante lorsqu’il apprit le nom de madame de Cerny !

tu dois comprendre que cette épouvante redoubla lorsqu’il vit madame de Cerny donner les ordres qu’exigeait son départ pour Toulouse, lorsqu’il sut qu’elle venait de faire prévenir le maire de Bois-Mandé de se rendre chez elle ! Ce n’était rien qu’un crime pour Henri Donezau, et, si tu te souviens de son entretien avec Juliette, tu sais qu’à supposer que ce fût lui qui eût tué M. de Cerny, qu’il croyait le ravisseur de sa maîtresse, il n’en était pas même à cette époque à son coup d’essai. Il l’avait lui-même reproché à Juliette
elle l’avait poussé de la débauche à la friponnerie, de la friponnerie au faux, du faux au meurtre. Il ne manquait pas à la carrière qu’elle lui avait faite. Ce n’était donc pas pour lui une longue décision à prendre que celle de se débarrasser de la comtesse : mais le moyen était difficile, le danger pressant.