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— Oh ! merci ! merci, Léonie ! s’écria encore le baron ; cœur noble et généreux, qui devais être l’asile du mien !

— Cœur noble, en effet, dit le Diable, car elle n’oublia personne dans sa résolution, et en passant à Bois-Mandé, elle se rendit chez madame de Cauny, sa tante, pour savoir ce qu’elle avait appris de l’existence de sa fille. Le jour où elle arriva, madame de Cauny venait de mourir. À l’heure où elle frappa à ce château, le cadavre de sa tante en sortait ; puis, à l’heure où on refusait l’entrée à madame de Cerny, Juliette en chassait insolemment son ancien amant, M. Henri Donezau, ton beau-frère.

— Lui ! s’écria le baron ; en effet, je l’avais oublié, qu’est-il devenu pendant tout ce temps ?

— C’est encore un très-long récit, que je te ferai en un mot : il avait poursuivi Juliette, croyant qu’elle s’était fait enlever par le comte. Veux-tu savoir comment ?

— Continue, continue, repartit le baron.

— Soit, fit le Diable ; d’ailleurs le temps passe, et, quoique je n’aie pas grand’chose à t’apprendre maintenant, je ne veux pas te voler ton pauvre bien.

— Écoute, dit le baron, j’ai décidé que je te donnerais douze heures de cette journée : fais en sorte qu’au moment où elles seront passées, je sache quel événement a retenu madame de Cerny malade dans cette auberge et l’a empêchée de venir jusqu’à moi. Alors tu pourras prendre les trente jours qui t’appartiennent de ma vie ; alors tu me délivreras, ainsi que tu me l’as promis.

— C’est convenu, dit Satan.

Et il reprit :

— Henri Donezau et madame de Cerny se trouvèrent donc en présence à la porte du château : l’un qu’on venait d’en expulser, et l’autre à qui on en avait interdit la porte. Ils ne se connaissaient pas, mais tous deux étaient assez irrités de l’impertinence de la nouvelle maîtresse de cette maison pour que Henri Donezau osât aborder madame de Cerny et lui expliquer son mécontentement, pour que madame de Cerny lui demandât quelle était la femme qui lui avait fait répondre avec tant d’insolence et de grossièreté.

« — C’est la dernière des gueuses ! s’écria Henri, qui s’est enfuie de Paris avec un certain comte de Cerny, lequel, du reste, m’a payé cher l’enlèvement de la coquine. »

Tu sais, mon maître, que madame de Cerny n’était pas femme à continuer une conversation entreprise sur ce ton et en de pareils termes ; mais la circonstance qui pouvait lui révéler quelle était la femme qui voyageait avec son mari la décida à subir la compagnie de cet homme. Elle était venue en voiture de Bois-Mandé jusqu’au château, elle lui offrit de le reconduire en voiture. Il accepta, et voici quel fut leur entretien :

« — Ah ! Monsieur, vous connaissez la personne qui occupe le