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de plus sale. À l’aspect de Juliette, il s’empara du misérable tabouret sur lequel il était assis, et s’écria :

« — Que me voulez-vous ? je n’ai rien, je suis un pauvre homme ruiné. »

Juliette avait quitté Bois-Mandé assez tard pour connaître le vice de son grand-père, quoiqu’elle ne fût jamais rentrée au château depuis qu’on l’en avait expulsée ; aussi ne s’étonna-t-elle pas de cet accueil, et répondit-elle intrépidement :

« — Je ne vous demande rien, et c’est pour vous empêcher d’être ruiné que je suis venue ici. »

Le vieillard posa son tabouret à terre, et, s’asseyant entre Juliette et son feu comme s’il eût craint qu’elle lui dérobât une parcelle de chaleur :

« — Eh bien ! qui êtes-vous ? et que me voulez-vous ?

— Je vous l’ai déjà dit, repartit Juliette, je viens vous empêcher d’être ruiné.

— Et qui est-ce qui peut vouloir m’arracher le misérable morceau de pain que j’ai ? dit le vieillard. Tout le monde sait bien que je ne possède pas un sou, et que, si je ne vais pas mendier, c’est par respect pour le nom que je porte.

— Alors, dit Juliette en feignant de se retirer, je n’ai rien à vous dire.

— Restez, s’écria le vieillard en s’élançant vers elle et en la retenant ; restez. Je vous reconnais maintenant : vous êtes la fille de Mariette, vous êtes Jeannette la servante d’auberge.

— Je suis votre petite-fille, dit Juliette, et c’est à ce titre que je viens vous sauver.

— Je n’ai pas de petite-fille, dit le vieillard, je n’ai pas d’enfant.

— Vous avez une petite-fille qui est moi, une enfant qui est Mariette ; et si, pour prix de ce que je viens vous dire, vous ne m’assurez pas votre héritage, il y a quelqu’un qui vous enlèvera tout ce que vous pouvez posséder, il y a quelqu’un qui peut vous envoyer mourir en prison. »

Cette menace épouvanta Bricoin. Se cachant la tête sur ses genoux, il grommela du ton d’un enfant pleurard :

« — Ma femme est morte, il n’y a plus de preuves, je suis innocent.

— Sans doute, dit Juliette, il sera difficile de les retrouver, mais la fille de madame de Cauny vit encore, et je sais où elle est.

— La fille de ma femme ! s’écria le vieillard se relevant et saisi d’un tremblement affreux. Elle vient me voler tout mon bien, n’est-ce pas ? Elle demande tout ce qui a appartenu à sa mère ? Elle veut me dépouiller, elle veut me réduire à mourir de faim ?

— Elle en est bien capable, repartit l’excellente petite-fille de cet honorable vieillard.

— Oh ! je l’en empêcherai, dit Bricoin avec fureur.

— Ce sera difficile. C’est une grande dame très-puissante, très-bien appuyée dans le monde, et que seule, peut-être, je puis