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avait pour toute garde-malade une vieille femme qui n’était pas assurément plus misérable qu’elle. Juliette sonne à la porte de ce château, jadis si splendide ; car, à l’époque où elle en avait été chassée enfant, l’avarice du maître avait gardé assez de raison pour comprendre qu’en ne dépensant qu’une faible partie des immenses revenus de sa femme, il avait encore les moyens de se faire une belle fortune. À cette époque aussi ; madame de Cauny était dans toute la force de l’âge, et sa volonté, toute faible qu’elle fût, luttait contre la parcimonie honteuse de son mari. Celui-ci, de son côté, n’était pas non plus délivré de la crainte de voir découvrir son ancien mariage ; et, comme il savait que le vicomte d’Assimbret ne demandait pas mieux que de trouver une occasion de le punir d’avoir épousé sa sœur, il n’osait pas donner à sa femme des sujets de plainte qui eussent pu parvenir jusqu’aux oreilles du vicomte. Mais une fois qu’il fut assuré de la mort de sa première femme, une fois que Jeannette fut chassée du château, il se sentit au-dessus de toute erreur et osa commander en maître. Cependant il ne fallut pas moins de vingt ans pour amener M. et madame de Paradèze, et le château qu’ils habitaient, à l’état de dégradation où Juliette le trouva. Je te l’ai dit, elle sonna à la porte de ce château, et pendant longtemps on ne lui répondit pas. Enfin, après une longue attente, la vieille et unique servante, dont je t’ai parlé, vint lui ouvrir et lui demanda ce qu’elle voulait. Elle répondit qu’elle voulait voir M. de Paradèze pour une affaire très-pressante et qui intéressait sa fortune. La vieille femme l’introduisit, et, gagnant une petite aile de la grande cour de cet immense château, elle lui montra du doigt une longe file d’appartements en lui disant : « Vous trouverez tout au bout M. de Paradèze dans sa chambre. » Juliette traversa plusieurs salons abandonnés ; les tentures tombaient par lambeaux, et les boiseries étaient dévorées par l’humidité qui entrait par les fenêtres brisées ; elle arriva ainsi de chambre en chambre jusqu’à une porte fermée, qu’elle ouvrit sans frapper.

Dans une pièce exiguë, elle vit un vieillard assis sur un misérable tabouret dont on avait scié les pieds, et tenant entre ses jambes un réchaud sur lequel chauffait sans bouillir une marmite où nageaient quelques rares légumes ; une vieille couverture de cheval lui couvrait les épaules, et ses pieds et ses jambes étaient enveloppés de tresses de paille pour leur donner quelque chaleur. Lorsqu’il entendit ouvrir la porte, il se leva et se retourna. Ses cheveux pendaient sur ses joues, ses sourcils pendaient sur ses paupières, ses joues pendaient sur son cou, sa lèvre sur son menton : c’était la décrépitude dans ce qu’elle a de plus hideux et