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LXI

GRAND-PÈRE ET PETITE-FILLE.

— Tu y perdras cependant, mon maître, continua le Diable, car j’avais une bonne scène à te raconter : c’est le conciliabule qui fut tenu entre Juliette, de Cerny et Gustave de Bridely. Tu y aurais vu l’impuissance enragée du grand seigneur se mettant au niveau des petites infamies d’une fille publique et d’un intrigant ; tu y aurais vu le vice, la méchanceté, la soif de l’or, s’avançant pas à pas, se tâtant l’un l’autre, puis se reconnaissant tous pour gens de même compagnie, se démasquant effrontément et se saluant en se tendant la main. Ainsi Juliette vendit à M. de Cerny le secret de ta fuite avec Léonie, à la condition qu’il l’aiderait à obtenir enfin de M. de Paradèze, oncle par alliance de M. de Cerny, qu’il voulût bien la reconnaître comme sa petite-fille et qu’il ferait tout pour empêcher madame de Cauny, maintenant, madame de Paradèze, de reconnaître Eugénie pour la fille qui lui avait été enlevée.

— Et de quel salaire le marquis de Bridely a-t-il payé ce service ? dit Luizzi interrompant le Diable.

— Il l’a payé du nom et de la fortune qu’il a volés. À l’heure où je te parle, il y a promesse de mariage entre le marquis Gustave de Bridely et Juliette ta sœur.

— Mais elle aimait Henri Donezau ? reprit le baron.

— C’est-à-dire, ajouta le Diable, qu’il valait mieux être la maîtresse d’Henri Donezau à qui un sot avait donné vingt-cinq mille livres de rente, que d’être fille publique ou religieuse ; mais il valait mieux être l’épouse légitime de M. le marquis de Bridely que la maîtresse de M. Henri Donezau. Ta sœur n’a pas hésité un moment.

— Et elle a sans doute réussi dans tous ses projets ? dit le baron ; et, averti trop tard de ce qu’était cette femme, je n’ai pas pu y mettre obstacle.

— C’est vrai ! dit le Diable. Sur ma foi, il s’en est fallu de bien peu que tout ce qui arrive ne soit pas arrivé.

— Comment cela ?

— Suppose que mon histoire de Mathieu Durand n’eût pas produit l’effet que j’en attendais : Fernand ne nous quittait pas et ne nous laissait pas seuls ensemble.

— Oui, oui, fit Luizzi amèrement, je comprends comment tu m’as trompé en me disant que cette histoire m’était tout à fait étrangère. N’importe, revenons à Juliette.

— Soit ; et, pour revenir à elle, je dois te dire aussi que, si Fernand ne nous avait pas quittés, il t’aurait raconté l’histoire de cette Jeannette, et qu’une fois instruit