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comme éclairée par une soudaine lumière d’en haut… (car je dois t’avouer, baron, que Dieu s’en mêla), Caroline, dis-je, qui s’écria : « Oh ! c’est là qu’est le crime ! Jamais ! jamais ! »

Ici, Edgard perdit par un seul mot tout le chemin qu’il avait fait ; il avait en main une femme à qui il eût pu persuader que le crime n’était pas là, mais il eut la maladresse de s’écrier :

« — Si c’est un crime pour d’autres femmes, en est-ce donc un pour vous, pauvre femme malheureuse et abandonnée ; pour vous, livrée par un frère imprudent à un mari sans honneur ; pour vous, déshéritée du nom de votre famille ; pour vous, qui ne devez rien à la société, qui n’a rien fait pour vous ? »

Le Diable se tut, et Luizzi, le regardant attentivement, lui dit :

— Et que répondit-elle à ces accusations si vraies contre nous tous ?

— Elle répondit simplement et en montrant le ciel du doigt : « La société n’est pas mon juge, Monsieur. »

Satan regarda l’effet que ce mot avait produit sur Luizzi, et celui-ci lui dit alors :

— Et tu oses me répéter ce mot, à moi ! Ne crains-tu pas que je n’en profite ?

— Quand tu sauras la fin de l’histoire de ta sœur, reprit le Diable, tu en profiteras si tu veux. Puis il continua ainsi :

— Après une si noble réponse, il était juste, n’est-ce pas, mon maître, que le ciel envoyât à l’aide de la malheureuse Caroline quelque protecteur qui la sauvât, quelque événement qui l’arrachât aux nouvelles séductions de du Bergh ? car cette scène se renouvela plus d’une fois, et cependant Caroline résista toujours, puisant en elle plus de force que tous les liens de famille n’en donnent à d’autres ; elle résista non-seulement à son abandon et à sa solitude, mais encore à son amour, car elle aimait Edgard ; et après ce malheur que tu lui avais fait, il lui fallut résister à celui que lui fit du Bergh ; car, résolu à obtenir cette femme, il n’épargna rien de ce qui pouvait vaincre sa résistance. Il lui laissa sentir peu à peu les approches de la misère ; il la livra aux insultes des créanciers, aux basses avanies des domestiques, à tout ce qui donne au cœur un désespoir qui fait rougir, et il venait incessamment lui dire, lorsqu’il la voyait pleurant et désolée :

« — Sois à moi ! et je te rendrai la fortune, le bonheur et la considération. »

Mais elle lui répondait sans cesse :

« — Ma fortune n’est pas de ce monde ; mon bonheur me vient de plus haut, et je porte ma considération en moi. »

— Noble sœur ! s’écria Luizzi, à qui les larmes étaient venues aux yeux.

— Noble sœur en effet ! repartit le Diable, car la nouvelle de l’accusation qui pèse sur toi lui arriva enfin ; elle lui