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« — Vous avez accusé mon mari et Juliette de s’être tutoyés : si c’était un crime pour eux, ce doit en être un pour nous. C’en est fait, je suis coupable, je le sens, puisque vous vous êtes cru le droit de me parler ainsi. »

Edgard fut un peu désorienté par cette réflexion ; mais, décidé à profiter du terrain qu’il avait gagné, il reprit avec un air de tristesse admirablement joué :

« — Vous vous trompez, Madame. Ce langage, qui pour moi n’a été que l’égarement d’un instant, c’était leur langage habituel ; je vous l’ai adressé quand je n’en avais pas le droit, mais tous deux avaient le droit de se parler ainsi.

— Je ne vous comprends pas, dit Caroline.

— C’est que l’amour tel que je viens de le dépeindre n’est pas encore tout l’amour ; c’est qu’à part cette union des âmes, si calme et si sainte, il en est une autre enivrante et fiévreuse ; c’est que, quand je suis près de vous, Caroline, ajouta-t-il en s’approchant d’elle, je sens ma vue qui se trouble, mon cœur qui bat, mon corps qui frissonne ; et, tenez, dit-il en lui prenant la main, ne sentez-vous pas que je brûle ? regardez-moi, ne voyez-vous pas que mon regard s’égare ? »

Caroline l’écoutait avec un effroi d’autant plus grand, qu’elle sentait se glisser en elle le trouble qu’Edgard lui peignait avec tant d’ardeur.

« — Laissez-moi ! lui dit-elle avec épouvante, laissez-moi !

— Oh ! c’est que vous ne savez pas, reprit-il, quelle ivresse on éprouve à perdre ses regards dans les regards de celle que l’on aime ! »

Et, comme il parlait ainsi, ses yeux attachés sur ceux de Caroline y plongeaient les rayons brûlants de son amour.

« — C’est que tu ne sais pas quelle volupté indicible il y a à sentir trembler dans sa main la main de celle que l’on aime, à sentir sa poitrine battre contre la sienne, ses lèvres toucher à votre bouche, tout son corps vous appartenir. »

Et, en parlant ainsi, il prenait doucement ses mains, il enlaçait sa taille, il la pressait contre lui et attachait ses lèvres aux siennes.

— Et alors elle succomba sans doute ? s’écria Luizzi avec colère et désespoir.

— L’en crois-tu capable ? répondit Satan d’un ton railleur.

— Et quelle femme ignorante comme Caroline, abandonnée comme Caroline, malheureuse comme Caroline, n’eût pas succombé à sa place ? dit tristement Luizzi.

— Toute autre eût succombé peut-être, mais ta sœur résista.

— Caroline ! s’écria Luizzi avec joie.

— Caroline, que tu as soupçonnée, car il ne te manquait plus que de ne pas croire à la vertu d’une seule femme ; Caroline, qui, s’arrachant avec violence des bras d’Edgard, s’écria