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« — Est-ce donc là, Edgard, ce que vous appelez amour : cette bonté généreuse, cette protection dévouée, ce soin de vous mettre entre moi et le chagrin qui s’approche, cette touchante sollicitude pour ma douleur, qui vous fait préférer la tristesse de mon entretien à tous les brillants plaisirs auxquels vous êtes accoutumé ? Oh ! que les hommes sont heureux de pouvoir aimer ainsi, et que peuvent rendre les femmes à un pareil sentiment ?

— Ce qu’elles peuvent rendre, Caroline, c’est ce que je voudrais obtenir de vous, c’est une confiance sans borne dans cette protection, c’est une foi sincère dans ce dévouement, c’est une douce joie d’en être l’objet.

— Je n’avais pas appelé cela amour, Edgard, je croyais que c’était de la reconnaissance.

— C’est que, dit du Bergh, si c’est là de l’amour, ce n’est pas du moins tout l’amour. »

Et, comme Caroline le regardait avec une douce surprise, il continua :

« — Vous reconnaissiez tout à l’heure que je préférais votre entretien aux plaisirs frivoles du monde, et vous m’en avez presque remercié. Ces remerciements, Caroline, je ne les mérite pas ; quand je viens à vous, c’est que rien ne saurait m’empêcher de venir à vous, c’est que vous voir est pour moi une joie, c’est que vous entendre est pour moi un bonheur, c’est que vous regarder m’écouter est pour moi un triomphe, c’est que toute ma vie est en vous, c’est que vous êtes maîtresse non-seulement de mon sort, mais aussi de mon âme, c’est que je vivrai par vous comme il vous plaira, c’est que je sens par vous comme il vous plaît. »

Caroline écoutait avidement ces paroles, interrogeant son cœur, heureuse et fière de cet empire qu’elle exerçait, et elle murmurait doucement :

« — Et comment peut-on payer tant d’amour, mon Dieu ?

— Comment on peut le payer ! s’écria Edgard : en se trouvant heureuse d’être aimée ainsi et d’être aimée ainsi par celui qui vous aime, en n’étant fière de son esclavage que parce que c’est lui qui est l’esclave, en n’acceptant sa protection que parce que c’est la sienne, en sentant enfin qu’il n’y a que lui dont on puisse tout recevoir, bonheur, joie, douleur, et qu’il porte en lui votre âme comme vous portez la sienne en vous. Voilà, Caroline, comment on paye un tel amour.

— Oh ! s’écria-t-elle alors, si c’est cela, Edgard, je ne suis pas ingrate.

— Tu m’aimes donc, s’écria-t-il en se rapprochant d’elle.

— Edgard, que faites-vous ? lui dit-elle en reculant avec épouvante. »

Puis, après un moment de silence, elle ajouta :