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ce qu’ils blâment dans les autres, et c’est de bonne foi qu’ils agissent ainsi. Quant à toi, maître, tu n’as pas fait une mauvaise action (et tu en fais beaucoup) que je ne t’aie vu cracher dessus lorsqu’elle a passé à côté de toi sous une autre figure que la tienne. Hé ! qui t’a dit qu’Edgard du Bergh n’avait pas d’excellentes raisons pour désirer ta sœur ? Qui te dit que si je voulais faire de cette histoire une nouvelle sentimentale pour une revue littéraire, je ne trouverais pas des moyens de t’intéresser à l’infâme séduction de cet homme, en te le peignant dévoré d’un amour plus fort que lui, et cela serait vrai ; bien décidé à protéger cette jeune femme contre l’abandon insensé de son frère et contre l’odieux délaissement de son mari, et cela serait vrai encore ? Mais, parce que j’habillerais mon récit de mots touchants et polis, le fond de l’action n’en serait pas moins coupable et odieux, l’intention de cet homme ne serait pas moins celle d’un libertin éhonté. Car, une fois sûr de la vérité de l’ignorance de Caroline, il lui fallut une grande adresse pour lui faire comprendre ce qu’il voulait d’elle. C’est chose très-simple que de demander à une femme les faveurs qu’elle accorde à son mari ; elle sait, elle, de quoi il s’agit. C’est chose très-simple que de demander à une jeune fille les faveurs qu’elle n’a encore données à personne : elle soupçonne qu’elles doivent être autre chose que ce qui fait qu’elle est une jeune fille. Mais demander à une femme, qui croit avoir tout donné, un bonheur dont elle ne comprend pas le sens, c’est une entreprise difficile, mon maître, et dans laquelle, pour réussir, il fallait un maître passé en corruption. Aussi la lutte fut-elle longue, et d’abord du Bergh se garda de pousser plus loin qu’il ne l’avait fait l’explication donnée par hasard à Caroline : il recula rapidement et se replaça au rôle d’ami et de protecteur. Ainsi il s’assura la libre entrée de la maison de Caroline. Ta sœur, laissée seule, sans ressources durables, sans la moindre idée de l’administration d’une fortune, lui confia la direction de ses affaires ; c’était un droit de venir la voir souvent. Edgard accepta. Il l’entoura de soins ; esclave obéissant et empressé, il ne vit pas couler de ses yeux une larme qu’il ne fût prêt à l’essuyer, il n’entendit pas s’échapper un vœu de sa bouche qu’il ne fût prêt à l’accomplir. Il fut triste avec elle, il espéra avec elle, et, quand il lui eut bien montré comment une vie tout entière pouvait se lier à une autre vie par tous ses points, se confondre incessamment dans la même émotion, dans le même besoin, dans le même désir, il lui dit que c’était là ce qu’on appelait aimer, et Caroline comprit alors qu’elle n’avait pas été aimée comme cela, et voici ce qu’elle lui répondait le jour où il lui fit cet aveu :