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ménagement à garder vis-à-vis d’une femme dont la bêtise le désenchantait un peu, il répondit assez brutalement à ta sœur :

« — Enfin, puisqu’il faut tout vous dire, j’ai surpris votre mari dans le lit de Juliette.

— Dans son lit ? s’écria Caroline… Couché près d’elle ?

— Oui. »

Elle devint rouge jusqu’au blanc des yeux, et dit à voix basse :

« — Sans vêtement ? »

Edgard, poussé à bout, répondit en riant :

« — Tous deux sans vêtements. »

À cette révélation, Caroline cacha sa tête dans ses mains ; une étrange confusion d’idées, de soupçons, de doutes, vint l’agiter, tandis qu’Edgard, qui croyait faire simplement une phrase à effet, ajoutait :

« — Ainsi, Madame, c’est en sortant de votre lit qu’il allait dans celui de votre rivale.

— De mon lit ! s’écria Caroline ; il n’y est jamais entré, je vous le jure. »

Tout s’expliqua pour Edgard. L’exigence d’une femme comme Juliette vis-à-vis de son amant n’était pas chose à l’étonner, car cette exigence est plus commune que tu ne penses ; mais c’est l’obéissance du mari à laquelle il n’eût pu croire si la conversation qu’il venait d’avoir avec Caroline ne l’avait persuadé d’avance que cette obéissance avait été complète.

Tu sens maintenant, mon maître, quelle belle proie ce devait être que ta sœur pour un homme comme du Bergh. Une belle fille vierge est chose assez rare pour agacer les désirs d’un libertin, quel qu’il soit ; mais une femme mariée et vierge, c’est d’un charme à faire tourner la tête à de moins dissolus que le bel Edgard.

— Mais c’est une lâche infamie ! s’écria Luizzi.

— Allons donc, maître ! fit le Diable en parlant d’un air penché, la tête sur l’épaule ; allons donc ! c’est un morceau friand, tu le sais, et madame de Cerny t’en a donné la preuve. Crois-tu que tu aurais fait pour elle la folie de l’enlever si elle eût été la femme de son mari, bonne mère de famille, avec des enfants paillards autour d’elle et une beauté dégradée par la possession légitime et la maternité ? non, mon maître tu ne l’aurais pas fait. Tu as été séduit par le piquant de l’aventure autant que par la valeur réelle de ta maîtresse, et il ne te sied pas de trouver mauvais ce que tu as fait avec tant de charme.

— Oh ! moi, c’est bien différent ! dit Luizzi.

— Oui, dit le Diable, voilà le mot de tous les hommes : moi, c’est bien différent ! Ils ont tous une raison pour excuser en eux