Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/466

Cette page n’a pas encore été corrigée

il entreprit de jeter dans l’âme de Caroline le soupçon qu’il s’étonnait de ne pas y voir naître. C’était un soir, il était assis à côté d’elle, et voici ce qu’il lui disait :

« — Oui, Madame, j’ai honte de vous le dire, votre mari, celui à qui appartenait votre amour, celui que votre union avait rendu le possesseur de cette beauté si charmante et si pure, votre mari vous a préféré une femme qui ne vous valait certes à aucun titre.

— Juliette, n’est-ce pas ? dit-elle ; vous avez tort, Monsieur, elle était plus gracieuse et plus belle que moi ; il y a longtemps que je m’étais aperçue de cette préférence, et, quoiqu’elle me chagrinât, j’étais trop juste pour en vouloir à mon mari. »

Edgard dut s’étonner de cette étrange abnégation ; il prit pour niaiserie ce qui n’était qu’ignorance, et il répondit :

« — En vérité, Madame, c’est trop de modestie, vous ne vous estimez pas ce que vous valez ; et d’ailleurs, M. Donezau eût-il été égaré par une passion peu concevable, son honneur aurait dû lui défendre d’introduire sa maîtresse dans la maison de sa femme. »

Il faut te dire, mon maître, dit Satan en s’interrompant, que ta sœur avait bien entendu prononcer dans le monde ce nom de femme et de maîtresse ; mais tu dois comprendre qu’il lui était difficile de s’expliquer ce que c’était qu’être la maîtresse d’un homme, quand, pour elle, être sa femme n’était autre chose que porter son nom. Aussi répondit-elle à Edgard :

« — Mais comment était-elle sa maîtresse ? »

Cette question était si singulière qu’Edgard ne la comprit pas ; il s’imagina que Caroline doutait simplement de la réalité du fait, et, ne pensant pas devoir ménager la niaiserie d’une femme dont la conviction était si difficile à amener, il lui répondit très-franchement :

« — Je ne puis vous dissimuler, Madame, que j’en ai eu les dernières preuves. »

Et comme Caroline le regardait d’un air encore plus étonné, il ajouta :

« — Pardonnez-moi l’aveu que je veux vous faire, mais je les ai surpris seuls ensemble.

— Et, mon Dieu ? fit-elle, je les ai laissés ainsi vingt fois moi-même.

— Pardon, dit Edgard avec quelque impatience, je rougis du mot que je suis forcé d’employer, mais je les ai vus s’embrasser.

— Mais il l’embrassait comme mon frère m’embrasse.

— Il la tutoyait.

— Sans doute, comme mon frère me tutoie. »

Ceci dépassait de beaucoup tout ce qu’Edgard pouvait s’imaginer de la niaiserie d’une femme. Alors, croyant n’avoir aucun