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— Tu dois te rappeler, mon maître, que, parmi les personnes que tu recevais habituellement chez toi, l’une des plus assidues était le jeune Edgard du Bergh. Il était de trop bonne compagnie pour venir dans la maison d’un homme où il lui fallait subir la compagnie de M. Henri Donezau, et il était en même temps de trop mauvaise compagnie pour y venir à l’intention d’une fille de la tournure de Juliette. Il y a cent filles, à Paris, à vendre, qui sont de meilleur ton, de meilleur goût et de meilleur santé ; mais entre le rustre qui s’appelait Donezau et la coquine qui s’appelait Juliette, il y avait ta sœur, et c’est ce qui l’attirait dans ta maison. Tant que tu fus présent, il cacha avec grand soin un désir que tu étais assez habile pour découvrir, assez adroit pour surveiller, assez résolu pour écarter au besoin. Il ne comptait pas le mari pour un obstacle ; plus avisé que toi, il avait compris que la brutale et lubrique nature de Henri Donezau préférait la nature lascive et ardente de Juliette, il soupçonnait que ton beau-frère se souciait fort peu de sa femme, mais il était loin de supposer qu’en partant il la lui abandonnât vierge et pure comme il l’avait reçue. Ce fut le lendemain du départ de son mari et de Juliette qu’il commença véritablement à espérer. Ce jour-là il vint faire sa visite accoutumée, ce jour-là il trouva Caroline seule et plongée dans le plus vif désespoir. En effet, dans l’espace de vingt-quatre heures, elle avait appris ta fuite avec madame de Cerny, le départ de Juliette, suivi, quelques heures après, du départ de son mari.

— Quoi ! dit Luizzi tout étonné, ils ne sont pas partis ensemble ?

— Écoute, maître, dit le Diable, si tu me fais mêler toutes ces histoires l’une avec l’autre, non-seulement nous n’y comprendrons rien, mais encore nous n’en finirons pas… Edgard rencontra donc Caroline tout en larmes.

« — Quel chagrin avez-vous ? » lui dit-il.

Caroline croyait que du Bergh était un ami, vous le traitiez comme tel. C’est d’ordinaire le premier grade que prennent les amants dans les bonnes maisons, et c’est toujours le frère ou le mari qui leur en signe le diplôme, quelquefois tous les deux ensemble. Elle lui raconta donc le malheur qui lui arrivait. Le malheur voile la faculté perspicace de l’âme, comme les pleurs voilent les facultés visuelles des yeux. Caroline n’aperçut pas la maligne joie qui se montrait sur le visage de du Bergh à cette nouvelle. Il lui promit de ne pas l’abandonner, de s’informer exactement de ce qu’étaient devenus son mari, toi et Juliette. Tu dois comprendre qu’avec les projets d’Edgard, il se garda bien de faire la moindre démarche à ce sujet : il commença par laisser quelques jours à la première vivacité du désespoir, puis, en habile séducteur,