Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/462

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’écouter le magnifique exorde de l’avocat du roi, qui prononça un réquisitoire fulminant contre un homme qui, après avoir enlevé à M. de Cerny une épouse qu’il adorait et dont il faisait le bonheur, avait lâchement assassiné celui qu’il avait déshonoré ; un homme qui, placé dans les rangs les plus élevés de la société, avait embrassé une carrière de crimes ; un homme qui avait traîné dans la boue l’illustre nom de la vertueuse famille des Luizzi ; un homme qui… un homme que… etc., etc.

Le ronflement oratoire de l’avocat général dura cinquante-cinq minutes. La défense ne fut pas moins belle et dura cinquante-six minutes. Le résumé, horriblement impartial, dura vingt et une minutes. La délibération du jury dura treize minutes, nombre fatal ; et, au bout de deux heures vingt-cinq minutes, le baron de Luizzi fut condamné à mort à l’unanimité.

Depuis la déposition de Juliette, Luizzi n’entendait plus, n’écoutait plus. Ce qu’on pouvait dire contre lui et ce qu’on pouvait dire en sa faveur lui était devenu également indifférent. Une rage indicible s’était emparée de lui ; il avait reconnu la main de Satan dans le dernier coup qui venait de lui être porté ; et cette Juliette, sortie noble et intéressante de ce tribunal dont il était sorti déshonoré et condamné, lui parut la preuve convaincante que le mal était seul destiné à triompher dans ce monde ; il rentra donc dans sa prison avec la résolution inébranlable de demander son salut au mal, à quelque prix que ce fût, si son salut était encore possible. Il appela Satan.

— Eh bien ! mon maître, lui dit le Diable en riant, la société a été plus sage que toi, elle s’est rappelé l’histoire de cet ancien qui, ayant demandé le bonheur pour ses enfants, les vit s’endormir du sommeil de la mort. Elle t’a condamné au bonheur, et ce choix que tu devais faire bientôt, selon les termes de notre pacte, et qui sans doute te paraissait si difficile, elle l’a fait pour toi.

— Et penses-tu que j’accepterai ? dit le baron.

— Je ne sais comment tu pourras échapper.

— Allons, Satan, fit Luizzi qui avait retrouvé toute son énergie, ne perds pas ton temps à m’amener à une mauvaise résolution que j’ai déjà prise. Déjà deux fois tu m’as sauvé à la condition que je t’abandonnerais un temps déterminé de ma vie ; quel temps te faut-il pour me faire sortir d’ici, comme je suis sorti des prisons de Caen, innocent, riche et bien portant ?

— Il me faudrait plus de temps que tu n’en as à me donner, mon maître. Nous sommes au 1er décembre 183., et d’aujourd’hui en un mois il faut que tu aies fait choix de la chose qui doit te rendre heureux et te soustraire à mon pouvoir ; tu sais que, si tu n’as pas fait ce choix, ton être m’appartient à partir de ce dernier jour ?