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attendait dans une vive anxiété, lorsque, l’appel des témoins ayant été fait et Juliette n’ayant pas répondu, l’avocat de Luizzi se leva pour demander la remise de la cause à une prochaine session, vu l’importance de ce témoin ; mais l’huissier annonça que la demoiselle Juliette venait d’arriver à l’instant même et qu’elle était prête à comparaître devant la cour. Alors les débats commencèrent ; on lut l’acte d’accusation, et il en résulta contre Luizzi un sentiment de mépris et d’indignation.

Il n’entre pas dans l’intention de ce récit de faire un article dramatisé de la Gazette des Tribunaux, de donner des mots heureux à certains témoins, de prêter un jargon inintelligible à quelques autres, de faire dire de grosses bêtises aux jurés, de raconter avec quel soin le président des assises s’acharne à découvrir la culpabilité de l’accusé, de montrer l’avocat du roi entourant les témoins de questions captieuses pour leur apprendre ce qu’ils ignorent de manière à ce qu’ils aient l’air d’avouer ; mais nous devons rapporter l’un des incidents les plus remarquables de cette séance, et le dénoûment qu’elle amena.

L’attention était fatiguée, les dépositions des témoins qui venaient sans cesse raconter la disparition de M. de Cerny demeuré seul avec M. le baron, ou le soin qu’Armand avait mis à cacher sa présence à Toulouse, n’excitaient plus aucun intérêt ; la conviction de chacun était faite, lorsque enfin on appela Juliette. Tous les regards se tournèrent vers la porte par où elle entra. Luizzi l’interrogea du regard, et du regard elle sembla lui promettre de venir à son aide. Le président lui fit prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité ; Juliette le prêta d’une voix ferme et assurée. Tous les regards étaient fixés sur elle. On chuchotait, on la trouvait belle, charmante, gracieuse ; elle inspira tant d’intérêt qu’il en rejaillit quelque peu sur l’accusé, dont plusieurs personnes savaient que c’était la sœur. Enfin elle prit la parole, et, baissant humblement les yeux, elle répondit :

— J’ai quitté Orléans avec M. de Cerny, il était dans ma voiture ; nous n’avons rejoint la diligence qu’au village de Sar…, où elle s’était brisée. Il était à peu près sept heures du soir lorsque nous rencontrâmes le baron seul à pied sur la route. M. de Cerny était encore dans ma voiture à ce moment, et il était neuf heures sonnées à Bois-Mandé lorsqu’il me quitta pour retourner sur ses pas et rejoindre le baron de Luizzi, à qui il avait à demander compte d’une injure que j’ignorais.

À cette déposition de Juliette, le cœur de Luizzi se dilata ; il lui sembla que son salut venait de lui apparaître tout à coup ; mais il fut ramené à la vérité de sa position lorsqu’il entendit le murmure