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Cependant le temps de son jugement approchait ; sa lettre était partie depuis plus de huit jours, et nulle réponse ne venait. Ce que Luizzi n’avait pu obtenir par une voie indigne, il pensa l’arracher par une citation judiciaire. Il fit assigner Juliette comme témoin, et le jour fatal arriva sans qu’il sût si elle comparaîtrait ou non. Ce fut une belle solennité ! Toutes les grandes dames de Toulouse s’y trouvaient dans leurs plus beaux atours. Tout ce que la noblesse avait d’illustre, tout ce que la bourgeoisie avait de distingué, tout ce que le barreau avait de plus célèbre, était réuni dans cette enceinte. La cour prit séance, les jurés prêtèrent serment et l’accusé put reconnaître au milieu d’eux l’honorable M. Félix Ridaire, un des plus riches propriétaires du département de la Haute-Garonne, et le grave Ganguernet, qui siégeait le sourire aux lèvres. Les faits de la cause étaient clairs, précis et irrécusables. M. de Cerny, parti en poste d’Orléans, avait dû quitter sa voiture pour monter dans la diligence où se trouvait le baron. Ceci était établi par la feuille de route du conducteur, par le témoignage de plusieurs voyageurs et particulièrement par celui de M. Fernand, qui avait causé avec l’accusé et M. de Cerny jusqu’au village de Sar…, où tous deux avaient précédé la diligence. M. Fernand les avait laissés seuls ensemble, et quand le petit Jacob, envoyé à leur poursuite, était arrivé près du baron, M. de Cerny avait disparu ; l’enfant se rappelait fort bien, et son témoignage était positif, que le baron l’avait détourné d’aller à la poursuite de M. de Cerny en lui disant que le voyageur devait être au diable. Cette déposition était corroborée du témoignage du père de l’enfant, à qui Luizzi avait déclaré qu’il avait essayé vainement de continuer sa route. D’un autre côté, les deux épées trouvées à côté de M. de Cerny semblaient prouver qu’un duel avait été arrangé entre le mari et l’amant, tandis que le corps, frappé par derrière de deux balles, montrait sans aucun doute que le baron avait fait un assassinat d’une affaire d’honneur. Le cadavre n’avait point été dépouillé, ce qui constatait clairement que M. de Cerny n’avait pas été la victime de brigands. Puis venaient l’arrivée secrète de Luizzi à Toulouse, la demeure qu’il y avait choisie, les précautions d’argent qu’il avait prises, tout, jusqu’à son indifférence pour le pays où il voulait aller, pourvu qu’il quittât la France. C’était enfin un joli chef-d’œuvre d’acte d’accusation très-capable de faire pendre deux innocents au lieu d’un.

À cela Luizzi objectait, pour toute défense, que personne n’avait vu ni lui ni M. de Cerny porteurs d’épées, et que par conséquent cette circonstance prouvait que les véritables assassins avaient dû abandonner ces épées à côté de M. de Cerny, après l’avoir tué. On