Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/458

Cette page n’a pas encore été corrigée

à un appel sentimental. La seconde avait moins d’amertume, glissait davantage sur un retour vers le bien et commençait à effleurer le chapitre de l’intérêt vénal ; mais cette lettre était encore bien loin de ce qu’il croyait capable d’amener Juliette à une révélation sincère de la vérité. Enfin, de lettre en lettre, et toujours mécontent de lui-même en ce sens qu’il ne se trouvait ni assez bas ni assez oublieux du mal que lui avait fait cette fille, il laissa passer près d’une semaine, et, durant cette semaine, rien ne vint le détourner de sa fatale résolution. Il écrivit à madame de Cerny, et madame de Cerny ne lui répondit pas ; il écrivit à madame Peyrol, et madame Peyrol ne lui répondit pas. Au bout de quinze jours, il en était arrivé au plus fâcheux état où jamais se fût trouvée son âme : il douta de ces trois femmes. Ce fut alors qu’il écrivit à Juliette la lettre suivante.

Quoi que nous en ayons, Luizzi est notre héros, il a été notre ami ; et, si nous avons dit combien il s’écoula de temps avant qu’il écrivît la lettre que nous allons rapporter, c’est que nous voulons qu’on sache bien qu’il ne descendit que degré à degré et presque insensiblement le chemin qui mène à la lâcheté, et qu’il lui fallut l’abandon de tout ce qu’il aimait pour l’y pousser tout à fait.

Voici sa lettre :

« Mademoiselle,

« Un hasard m’a appris quels étaient les liens de parenté qui nous unissaient. J’en ai été vivement heureux ; il semblait que la tendre affection que vous portiez à Caroline fût un pressentiment de votre cœur, et que l’affection que je ressentais pour vous fût un avertissement du mien. Ce bonheur est d’autant plus grand pour moi que ce que j’ai fait déjà pour une sœur chérie, je pourrai le faire pour une autre ; et j’espère, aujourd’hui que je vous connais, réaliser bientôt le plus cher de mes vœux. L’accusation absurde qui me retient en prison tombera aisément devant les preuves que j’ai à donner, et surtout en face d’un témoignage que j’aurais déjà invoqué judiciairement, si je ne voulais le devoir à la spontanéité d’une amitié que vous m’accorderez maintenant, je l’espère. Je vous attends à Toulouse ; vous viendrez, n’est-ce pas ? J’ai beaucoup de choses à vous dire.

« Votre frère et votre ami,

« ARMAND, baron de LUIZZI. »

Une fois que Luizzi eut écrit cette lettre, il la cacheta et ne voulut plus la relire. Il n’avait pas fait partir les autres parce qu’elles n’atteignaient pas son but ; il n’eût peut-être pas fait partir celle-là parce qu’elle le dépassait.