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j’aie toujours refusé de te dire un mot de ce qui concerne ton avenir, je veux bien t’aider dans l’effort que tu tenteras pour ton salut, je t’assure que ta lettre la trouvera encore chez son grand-père.

— C’est assez, dit Luizzi.

Et d’un geste il ordonna à Satan de se retirer. LIX

TRIOMPHE DE L’AMOUR FRATERNEL.

La résolution que Luizzi avait prise dans un moment de désespoir n’était pas si facile à exécuter qu’il se l’imaginait : la lettre qu’il lui fallait écrire à Juliette n’était pas seulement une action honteuse, c’était aussi une œuvre difficile. Comment dire à cette femme qu’il la connaissait, et comment ne pas l’accabler des reproches les plus mérités ? Comment lui dire qu’il savait qu’elle était avec M. de Cerny, et ne pas lui demander compte de ce qu’elle avait dénoncé à celui-ci la route qu’avait prise la comtesse ? Cependant Luizzi ne recula pas devant cette œuvre. Le baron avait un de ces esprits qui ont une déplorable facilité pour trouver des raisons plausibles à tout ce qu’ils font ; le baron était un de ces hommes capables de soutenir avec quelque avantage la thèse d’un de nos plus gros faiseurs de vaudevilles patriotiques, qui disait un jour qu’il n’y a qu’un sot ou qu’un fripon qui ne change pas d’opinion. Or, l’intérêt qui poussait Luizzi à changer d’opinion sur le compte de Juliette était autrement important qu’une croix d’honneur ou la pension de douze cents francs qui a inspiré à notre gros vaudevilliste l’axiome que nous venons de rapporter. Il s’agissait pour le baron de la vie ou de la mort, de l’honneur ou de l’infamie, de la vie mortelle et de l’honneur, apparent à la vérité ; car, pour ce qui était de l’avenir de son âme ou du témoignage de sa conscience, il en faisait bon marché, comme les trois quarts et demi de l’humanité.

Il se mit donc à l’œuvre. Il écrivit une lettre, en écrivit deux, en écrivit dix, vingt ; mais, à la première, le ressentiment de tout le mal qu’avait fait Juliette perçait à chaque ligne, il lui faisait honte de sa conduite et en appelait à ses bons sentiments. Cette lettre, il la laissa dormir quelques heures, mais il la relut au moment de la remettre à M. Barnet, qu’il avait chargé de l’expédier, et cette lecture le persuada facilement qu’une femme comme Juliette ne tiendrait aucun compte des reproches et serait peu sensible