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Luizzi avec une expression forcée de sarcasme qui ne montrait que son impuissance à lutter avec un aussi terrible ennemi que Satan.

— Elle n’en a pas le plus léger soupçon.

— Ah ! je le connais, moi ! s’écria Luizzi.

— Et tu le nommes ?…

— Jacques Bruno.

— Ah ! fit le Diable d’un air étonné, c’est Jacques Bruno. Eh bien ! te voilà sauvé ; tu diras cela aux jurés, et ils te croiront tout de suite.

Cette froide raillerie de Satan déconcerta le baron ; il comprit l’impossibilité d’articuler une pareille dénonciation devant un tribunal, sans autre preuve que son assertion et que la pensée soudaine en lui que le visage qu’il avait cru reconnaître le soir sur la route de Bois-Mandé n’était autre que celui de Jacques Bruno. Alors, comme un homme qui se noie et qui se rattrape à tout ce qui est à sa portée, fût-ce à un fer rouge ou à une lame de rasoir, il reprit :

— Mais j’ai la déposition de Juliette.

— Autre moyen très-ingénieux, fil le Diable, et qui peut certainement te sauver ou te perdre tout à fait ! cela dépendra de ta bonne sœur Juliette.

— Et quel intérêt peut-elle avoir à me perdre ? dit Luizzi.

— Quel intérêt peut-elle avoir à te sauver ? reprit le Diable. Ah ! si tu lui avais donné quelque cinq cent mille francs de fortune comme à ta bonne sœur Caroline, si tu ne lui avais pas seulement enlevé son amant ou si seulement tu étais devenu le sien…

— Quelle horreur !

— Cela n’a pas tenu à toi, mon maître, tu en avais quelque envie. Que veux-tu ? cela manque à ton histoire, mais l’infamie de l’échafaud fera compensation à l’inceste qui manque.

— Oh ! non, non, dit Luizzi, tu auras beau faire, Satan, je n’y périrai pas, et ce sera Juliette, ce sera celle sur qui tu as compté pour me perdre qui me sauvera ; je lui payerai la vérité plus cher qu’on n’a jamais payé un mensonge.

— Voilà qui est bien, dit Satan, tu rendras Juliette plus riche que Caroline, tu doreras le vice à un titre plus élevé que la vertu. Véritablement tu fais tous les jours des progrès.

— Eh bien ! soit, dit Luizzi ; puisque dans ce monde tout est infâme, je serai infâme ; puisque parmi les hommes tout est à vendre, j’achèterai tout.

— Tu n’en seras pas moins dupe, baron, car d’ordinaire on ne paye pas ce qu’on a le droit d’avoir, il n’y a que les fripons qui achètent une bonne réputation, il n’y a que les coupables qui se ruinent pour se faire absoudre. Toi, tu achètes l’absolution d’un crime que tu n’as pas commis : niais, pauvre niais !

— Soit encore, dit Luizzi, je le serais bien plus de me laisser condamner… Dis-moi où est Juliette, dis-moi où je puis lui écrire, et je me charge de mon salut.

— À l’heure où tu me parles, elle est chez M. de Paradèze, son grand-père, et, quoique