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pouvant le délivrer de l’accusation qui pèse sur lui, le laisse dans sa prison et le destine à mourir sur l’échafaud ?

— Elle ? Juliette ? s’écria Luizzi, elle pourrait me sauver ?

— Elle le peut, maître. À l’heure où tu étais depuis longtemps de retour, elle était encore avec M. de Cerny : ce n’est qu’à Bois-Mandé qu’elle l’a quitté, car c’était elle qui voyageait avec lui. M. de Cerny était dans cette chaise de poste que tu as rencontrée à quelque distance de Bois-Mandé, et au moment où je t’ai quitté ; il s’y tenait caché. L’enfant qui t’avait averti atteignit la voiture pendant que le postillon l’avait abandonnée pour aller boire, comme tu l’as déjà appris. Tous les vices, vois-tu, s’aident à merveille pour compléter un malheur. L’enfant ne vit que Juliette, qu’il pria de prévenir le premier voyageur qu’elle rencontrerait, en lui disant ce qu’il venait de faire pour toi ; et comme elle lui demanda (poussée par quelque mauvais génie qui préside à toutes les mauvaises actions de cette femme), comme elle lui demanda quel était ce voyageur qu’elle avait aperçu sur la route, le petit Jacob répondit naïvement : « J’ai entendu qu’on l’appelait M. le baron de Luizzi. » Tu comprends, mon maître, que la nouvelle devait être agréable pour M. de Cerny, qui te poursuivait, et qui, ne te sachant pas dans la pénurie où tu es en ce moment, s’imaginait que tu courais la poste vers Toulouse. Sur sa demande, Juliette rappela l’enfant, qui s’en retournait déjà, et s’informa du temps que vous resteriez à l’auberge avant de repartir. L’enfant lui répondit que vous ne pouviez vous mettre en route avant le lendemain. C’était plus de temps qu’il n’en fallait à M. de Cerny pour te rejoindre, et ce ne fut que lorsque la nuit fut bien close et lorsqu’il était sur le point d’arriver au but du voyage de Juliette, qu’il descendit furtivement de voiture et retourna sur ses pas armé de deux épées. Elles ne lui servirent ni contre toi, ni contre son assassin ; car, à l’endroit précis où je te quittai, un coup de fusil, parti du taillis qui borde la route, l’étendit mort. Ce fut alors que l’assassin le traîna dans le taillis ; ce fut alors que, surpris sans doute par l’arrivée de quelques bûcherons attardés, il fut forcé d’abandonner son cadavre avant de le dépouiller, et qu’il créa contre toi cette circonstance accablante que le comte n’avait pas été tué par des brigands, mais par un ennemi personnel, qui avait à sa mort un intérêt plus haut que celui de le voler. Or quel autre, mon maître, a pu avoir un plus grand intérêt que toi à la mort de M. de Cerny ?

— Et Juliette sait cela ?

— Elle sait qu’à neuf heures précises du soir M. de Cerny la quittait et qu’à neuf heures précises du soir tu écrivais, à six lieues de là, ta lettre à madame de Cauny ; cette lettre, elle s’en est emparée.

— Et elle connaît sans doute le coupable ? dit