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de sa mère et de l’acte de naissance qui attestait qu’elle était fille de Bricoin, elle effraya assez le vieillard pour le forcer à se charger du soin de son existence et de celle de sa fille. M. de Paradèze garda l’enfant près de lui, et envoya Mariette à Toulouse avec une pension assez misérable pour que cette fille fût obligée de prendre du service dans une maison de la ville. Par une adresse digne de cette fille, elle avait caché soigneusement à son père la mort de madame Bricoin, afin de faire obéir M. de Paradèze par la crainte d’une accusation de bigamie ; mais elle était partie à peine depuis un an de chez son père, que celui-ci apprit la mort de sa première femme. Alors se sentant libre de toute crainte, mais ne pouvant supprimer la pension qu’il avait légalement reconnue à sa fille légitime, il chassa sa petite-fille de chez lui, et, avec quelque argent, il la plaça dans l’auberge où je la rencontrai, et où elle fut élevée jusqu’au jour où je l’en arrachai.

« Vous devez vous rappeler encore, mon cher Monsieur, qu’à cette époque vous étiez venu de Toulouse avec une femme nommée Mariette : c’était la mère de Jeannette, bonne mère, bien digne du père dont elle était née ! Vous devez vous rappeler encore avec quel soin elle se tenait voilée. Voici quelle en était la raison : toute la tendresse qu’elle avait eue pour son enfant, tant qu’elle pouvait espérer qu’elle intéresserait Bricoin en sa faveur, s’en était allée de son âme le jour où son enfant avait été chassée du château ; et quoiqu’elle sût que sa fille, belle, innocente et pure, habitât Bois-Mandé, elle y était passée sans vouloir être reconnue, craignant que la servante d’auberge ne demandât quelque secours à sa mère, servante de bonne maison ; mais ce qu’elle n’avait pas espéré de sa fille paysanne, sans grâce et sans séduction, elle l’espéra de Jeannette devenue entre mes mains élégante, et restée, grâce à la nature, la plus rusée coquine qui existe dans ce monde. Mariette nous retrouva à Paris ; Mariette m’enleva sa fille, car Mariette avait quelqu’un à qui la vendre, et elle savait comment on est vendu. Elles quittèrent Paris ensemble, et il fallut un hasard bien extraordinaire pour me la faire retrouver à Toulouse, il y a un an environ.

« Dans mon désespoir amoureux, je m’étais engagé. Je rêvais la gloire militaire, au commencement d’une révolution à laquelle je croyais le bras assez fort pour ramasser celle de l’empire. J’étais devenu sergent-major d’une compagnie où j’avais pour lieutenant un certain Henri Donezau ; il avait été l’amant de Jeannette et l’avait ramenée d’Aix, où sa mère lui avait appris l’infâme métier qu’elle-même avait fait autrefois. Je servais de secrétaire à cet ignoble Donezau dans une intrigue qu’il avait, disait-il, avec une