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d’extraordinaire, car sa position l’était étrangement ; elle était la petite-fille d’un homme de rien, devenu grand seigneur. L’histoire de cet homme est inouïe. Longtemps avant la révolution, il s’appelait Bricoin et était maître de danse. Il était déjà marié avant 89, lorsqu’en 93 ou 94 il lui vint à l’esprit de s’emparer de la fortune et de la main d’une certaine madame de Cauny, dont il avait fait condamner le mari à mort. Il fit si bien qu’il l’épousa, abandonnant sa première femme et une fille nommée Mariette qu’il avait eue d’elle. À cette époque, et pour échapper à la loi qui eût pu le condamner comme bigame, il changea de nom et prit celui de M. de Paradèze, et, par un bonheur qui n’arrive ordinairement qu’aux plus vils criminels, sa femme mourut avant d’avoir pu découvrir ce qu’il était devenu et laissa sa fille dans la misère la plus profonde, misère dont elle ne se sauva qu’en se livrant à la débauche. »

Ce nom de Mariette, ce mot de débauche, cet abandon à Toulouse, tout cela se réunit en un coup dans l’esprit de Luizzi et lui rappela ce que lui avait dit la Périne d’une fille nommée Mariette, qu’elle aurait livrée au père de Luizzi. Jeannette serait-elle sa sœur ? et lui-même aurait-il aidé alors à sauver celui qui devait la perdre, comme il avait livré son autre sœur Caroline au misérable qui la tenait dans ses mains ? Il n’osa s’arrêter à cette supposition extravagante et continua à lire cette lettre dans un état d’anxiété de plus en plus poignant.

« Il n’en fut pas de la fille comme de la mère. Elle parvint à découvrir le nom que son père avait pris et le lieu qu’il habitait, et, il y a vingt-deux ans à peu près, elle se rendit à Bois-Mandé chez M. de Paradèze, emportant avec elle l’enfant qu’elle avait eu dans la maison de prostitution de la Périne. »

Cette circonstance fit tressaillir le baron. En effet, plus il avançait dans cette lettre, plus il voyait se confirmer le pressentiment qui l’avait averti qu’elle renfermait d’étranges révélations. Pour tout autre homme qu’Armand, pour toute autre vie que la sienne, il eût fallu des preuves bien plus convaincantes pour faire naître seulement le soupçon que Jeannette était sa sœur ; mais, après tout ce qui lui était arrivé de surprenantes rencontres, il n’hésita pas à prendre la demi-révélation de Fernand pour un avertissement du sort, quoiqu’il ne supposât pas que le secret qu’il venait de découvrir était loin du terrible secret qui lui restait à apprendre. Cependant il continua la lettre de Fernand :

« Lorsque Mariette arriva à Bois-Mandé, armée de l’acte de mariage