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monsieur le baron n’était pas là quand on a lu les contrats, et peut-être veut-il en prendre connaissance avant de se décider. Il faut qu’il sache qu’en cas de décès de la femme le contrat donne au mari survivant une part d’enfant ; venez voir cela, monsieur le baron, venez voir.

Luizzi alla vers le notaire, sentant son cœur faillir ; car, en acceptant l’offre de madame Peyrol, il se condamnait peut-être à une misère plus grande que celle qu’il redoutait, si elle n’avait rien de la dot, et c’était peut-être la nouvelle dont le Diable l’avait menacé. Il s’approcha de la table, s’y appuya pour ne pas tomber, et vit à côté des contrats un grand paquet cacheté contenant la donation des deux millions.

— C’est là, dit le notaire en posant ses doigts aigus sur le contrat, lisez !

Armand ne le put pas, sa vue était troublée, il était saisi d’une espèce de vertige.

— Mettez mes lunettes, dit le notaire ; vous verrez mieux, monsieur le baron.

Et sans autre façon le notaire mit ses lunettes sur le nez de Luizzi, en lui montrant toujours du doigt l’endroit où il devait lire. À peine Luizzi eut-il porté les yeux sur le papier, qu’il s’aperçut que les lunettes de Satan lui avaient rendu cette puissance de vision, grâce à laquelle il avait pu lire l’histoire d’Henriette Buré à travers les murs et la nuit. Il regarda alors la donation, il se pencha vers la table, tandis que tout le monde le suivait d’un regard plein d’anxiété, et il lut, sous l’enveloppe de la donation, que M. Rigot donnait la somme de deux millions à Ernestine Turniquel, fille naturelle d’Eugénie Turniquel, femme Peyrol.

— Eh bien ! acceptez-vous ? demanda M. Rigot pour la troisième fois.

Luizzi se laissa aller sur la chaise du notaire, et répondit : « Non. »

Ce fut un cri de joie de tous les concurrents et un cri de honte et de désespoir d’Eugénie. Quant à M. Rigot, il répétait avec rage :

— Non ? ah ! vous dites non… non !… nous verrons… Allons, Eugénie, choisis un autre mari. Je te réponds que ces messieurs accepteront.

— À mon tour de dire non, repartit Eugénie ; donnez votre fortune à ma fille, mon oncle, et laissez-moi aller vivre dans quelque village obscur.

— Eh bien ! non aussi, s’écria Rigot avec emportement ; vous aurez chacune un mari ou vous n’aurez rien.

— Je préfère la misère, dit Eugénie.

— Et moi je garde mes millions.

— Gardez-les, mon oncle ; je n’ai pas oublié que le travail