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chambre. Avez-vous donc oublié que vous êtes renvoyé devant la prochaine session de la cour d’assises ? Jusque-là toute la liberté qui vous est accordée, c’est celle de vous promener avec vos camarades.

Armand ne répondit pas. Déjà, avant que le geôlier eût fini de lui parler, le souvenir complet de sa position lui était revenu ; la liberté qu’on lui accordait était devant ses pas, elle se bornait à quatre murs enfermant vingt toises carrées d’espace. Il jeta un regard rapide sur cette cour où se promenaient des hommes hideux, jeunes gens et vieillards, presque tous arrivés à la décrépitude de l’âme, presque tous abrutis par le vice qui mène au crime et par le crime qui mène au vice. Il allait se retirer, lorsqu’il aperçut tout à coup un homme qui le regardait avec attention. Armand eut peur de reconnaître encore quelqu’un qui se fût mêlé à sa vie dans un de ces misérables qui habitaient la même prison que lui. Il allait se retirer, mais cet homme ne lui en donna pas le temps. Il s’approcha rapidement du baron et lui dit d’une voix forte :

— N’êtes-vous pas le frère de la religieuse qu’on appelle la sœur Angélique ?

— C’est moi, dit le baron.

— C’est donc vous à qui je dois la mort de mon père et de mon fils ? dit cet homme.

— Moi ? repartit le baron.

— Je m’appelle Jacques Bruno, fit le prisonnier.

Luizzi le reconnut alors et répondit :

— Vous ici ? vous dans cette maison ?

— Vous y êtes bien, répondit Jacques Bruno.

— J’y suis pour un crime que je n’ai pas commis.

Rien ne peut rendre l’expression de haine et de méchanceté que prit alors le visage du paysan.

— C’est ce que décideront les jurés.

— Mais vous, dit Luizzi, qui vous a amené ici ?

— Une bonne action que j’ai faite : Petithomme avait tué mon père et mon fils, j’ai tué Petithomme.

— Mais, reprit le baron, comment se fait-il que je vous trouve dans la prison de Toulouse pour un crime commis aux environs de Vitré !

— C’est que je n’ai été arrêté qu’hier, et qu’il y a longtemps que j’étais bien loin de mon pays, même avant d’être arrêté.

Luizzi se mit à regarder Jacques Bruno avec une attention plus particulière : il lui sembla un instant avoir revu cet homme depuis le jour où il l’avait quitté dans sa ferme ; mais où l’avait-il vu ? c’est ce qu’il ne put se rappeler. La pensée qui avait préoccupé Luizzi avant que le geôlier vint l’avertir s’empara du baron avec plus de force que jamais ; mais cette fois, au lieu de la repousser