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« Et comme mon père s’étonnait de cette parole, je lui racontai tout, Armand. Il faut vous l’avouer, il faut vous le dire, sa bonté pour moi, la gravité que lui avait inspirée son nom de père, la rage où l’avait mis la conduite de M. de Cerny, rien ne put tenir contre le récit que je lui faisais, et, lorsque je lui dis le fatal secret de M. de Cerny, il lui prit un rire que rien ne put calmer. Il se roulait sur sa chaise en répétant sans cesse le mot : Impuissant ! Puis il s’écriait au milieu de sa gaieté :

« — Oh ! mes bons parlements, qu’êtes-vous devenus ? Quel procès délicieux nous aurions eu ! Je l’aurais fait examiner par toutes les Facultés de Paris, il n’aurait pas osé sortir sans que les petits enfants lui eussent jeté des pierres, et j’avoue que je n’ai jamais tant méprisé ni détesté les philosophes et la révolution qui ont changé tout cela.

« Je parvins enfin, après beaucoup d’efforts, à le rendre plus raisonnable. Il convint de plusieurs mesures à prendre pour ma mise en liberté, et il me dit qu’il reviendrait me voir, le lendemain, avec B…, notre grand avocat, qu’il avait amené de Paris. C’est en les attendant que je vous écris cette lettre que mon père vous fera parvenir, car sans lui je n’aurais pu vous l’envoyer. Répondez-moi sous son nom, hôtel de la poste, et annoncez-moi votre retour, car j’ai besoin de vous voir. Renvoyez-moi le manuscrit d’Henriette Buré, après avoir pris toutes les informations nécessaires ; n’oubliez pas que nous avons encore une fille à rendre à sa mère et que je viens de vous citer un triste exemple du malheur que peut causer une reconnaissance imprévue.

« Au moment où j’allais finir ma lettre, Armand, le médecin rentre chez moi et m’annonce que l’état de madame de Carin devient de plus en plus alarmant. Henriette a tout à fait perdu la raison, elle berce son enfant, elle chante, elle lui répète toujours la même chose et se croit enfermée maintenant dans l’horrible prison où elle a donné naissance à sa fille.

« Je finis cette lettre, car le jour tombe, et malgré les égards qu’on a pour moi dans cette maison, je ne puis avoir de lumière ; je vais penser à toi, j’en ai besoin, après toutes les misérables secousses que j’ai éprouvées en si peu de jours. Te souviens-tu de cette voiture, où, mourante de froid et de peur, je te demandais de m’aimer, d’être à moi ? n’oublie pas ce que tu m’as dit. À mesure que je t’écris toutes ces choses dont je viens d’être témoin, le doute envahit mon cœur. Qu’y a-t-il donc de vrai, mon Dieu ! en ce monde ? Et de toutes ces femmes qui m’entourent, serais-je la plus folle, moi qui sens que je ne pourrais vivre si je n’avais