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et vit qu’elle tenait une jeune fille embrassée. Elle s’avança vers son amie, qui, ramassant une pierre, en menaça madame de Carin en s’écriant :

« — Félix ! Félix ! si tu approches, je te tue.

« À cette parole, madame de Carin recula en poussant un cri.

« — Oh ! ce n’est pas possible, dit-elle, Henriette ! Henriette ! ajouta-t-elle en s’approchant de celle-ci, ne me reconnais-tu pas ? c’est moi, c’est Louise, c’est ton amie.

« Cette voix parut un moment calmer l’infortunée, car elle reprit avec moins de colère :

» — Va-t’en, Hortense, va-t’en ! Toi aussi, tu m’as abandonnée, tu m’as livrée à ton frère ; toi, qui as des enfants, tu l’as aidé à me voler mon enfant.

« Madame de Carin regardait, et on lisait sur son visage l’expression d’une épouvante indicible. Je voulus m’approcher à mon tour ; Henriette se retourna vers moi et me dit avec une sauvage énergie :

« — Que me voulez-vous, Madame ? que me voulez-vous, ma mère ? Vous m’avez enfermée et maudite ; j’ai accepté votre malédiction, et je veux ma prison, j’y suis bien, j’y suis avec mon enfant, je ne veux plus en sortir.

« Pendant qu’elle me parlait ainsi, madame de Carin la considérait avec une épouvante croissante ; un tremblement nerveux s’était emparé d’elle ; son visage prenait à son tour une expression d’égarement ; alors, portant la main à son front, elle s’écria avec d’horribles sanglots :

« — Oh ! oh ! oh ! ils ont réussi, mon Dieu, elle est folle, et moi… et moi…

« Elle balbutia plusieurs fois ce mot et tomba évanouie à mes côtés. Henriette la regarda ; Henriette qui, la veille, paraissait tant l’aimer, la regarda froidement se tordant à terre dans d’affreuses convulsions. D’autres femmes, accourues pendant que tout cela se passait, emportèrent madame de Carin, puis voulurent enlever la petite mendiante à la folle qui l’avait toujours gardée dans ses bras ; mais l’enfant, s’adressant à moi, se mit à crier :

« — Madame, Madame, protégez-moi : c’est ma mère, je l’ai reconnue.

« J’étais comme anéantie. Je ne savais que dire. Cependant on ne voulait tenir compte ni des prières de l’enfant, ni de la fureur de la mère. Heureusement le médecin accourut en ce moment et ordonna qu’on les laissât ensemble ; puis il dit à Henriette qu’on lui laisserait son enfant, et il la reconduisit lui-même dans sa chambre. Je lui avais appris pourquoi je m’intéressais à cette jeune