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enfant ! je lui aurais demandé pardon, à genoux, de mes soupçons. Je l’ai prise dans mes bras, j’ai eu toutes les peines du monde à calmer ses larmes ; elle était si malheureuse, j’avais été si ingrate envers elle ! Vous comprenez, n’est-ce pas ? qu’après cela, j’aie pu oublier un moment notre position à l’un et à l’autre, pour m’informer de celle de cette enfant ; je lui ai demandé ce qu’elle était, qui elle était, et j’ai voulu savoir cette histoire qu’elle devait nous raconter à tous deux et que j’ai entendue seule. Cette histoire est à la fois bien étonnante et bien simple. Cette enfant m’a dit avoir passé toutes les premières années de sa vie, quand elle était toute petite, enfermée, seule avec sa mère, dans une chambre où elle ne voyait jamais entrer que le même homme. Est-ce une enfant née dans une prison ? Cet homme était-il le geôlier qui venait chaque jour apporter la pitance des prisonniers ? Mais à travers les souvenirs confus de l’infortunée, il m’a semblé que la demeure qu’elle habitait ne pouvait être une prison, que les entretiens dont elle avait quelques souvenirs n’étaient pas ceux d’un geôlier et d’une recluse ; cependant elle n’a pu se rappeler ni les noms que sa mère lui avait appris avec soin ni les événements qui, lui disait-elle, avaient amené sa détention. Un jour on l’avait enlevée à sa mère, et elle s’était trouvée tout à coup dans la maison des Enfants-Trouvés d’Orléans. Cette nouvelle vie, car il paraît que ce fut une vie toute nouvelle pour cette enfant, effaça rapidement le souvenir de ses premières années. Elle n’avait jamais vu, avant ce temps, ni le ciel, ni la lumière du jour, ni une fleur, ni un arbre, ni rien de ce qui vit, excepté sa mère et celui qui les gardait toutes deux. Ceci est bien surprenant, Armand ; car nulle prison, en France, n’est si rigoureuse que celle où la mère de cette infortunée avait été enfermée. Cependant, n’osant supposer un crime aussi abominable, j’accusais d’infidélité les souvenirs de la mendiante, qui devaient bientôt m’être expliqués d’une manière si inouïe. Une partie de la nuit se passa dans ces entretiens. Elle me raconta encore comment, poursuivie de l’idée de retrouver sa mère, elle s’était échappée de la maison des Enfants-Trouvés. Je me décidai à faire demander au directeur de la maison qu’on me laissât cette jeune fille pour me servir, en lui expliquant quelle avait été la cause de son crime et en le chargeant de désintéresser, en mon nom, ceux dont la plainte eût pu l’appeler devant un tribunal. Ce fut cette raison qui fit que je ne la remis pas à la surveillante lorsqu’elle vint me la demander le matin, et celle-ci voulut bien se charger de la lettre que j’avais préparée pour le directeur. D’après ce que je vous ai dit de l’épouvante que j’avais éprouvée la veille, je ne voulus point descendre. La petite