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rangea dans un coin, et mademoiselle Ernestine fut appelée à déclarer le choix qu’elle avait fait.

Nous n’avons pas la prétention de peindre le visage des assistants, car des positions semblables à celles que nous racontons se trouvent rarement dans la vie humaine ; mais si l’on veut bien s’imaginer une assemblée d’héritiers au jour de l’ouverture d’un testament, qui prenant un air indifférent et se mordant les lèvres pour en cacher le tremblement, qui la bouche ouverte et les yeux hors de la tête, qui le regard quêteur et trépignant des pieds, des mains, des doigts, du nez, qui la mine défaite et les jambes mal assurées, on aura une idée de la tenue de cette assemblée. Ernestine se leva, baissa gracieusement les yeux, et, tandis que l’avoué soupirait à faire éclater son cœur dans sa peau, elle dit modestement :

— Je choisis M. le comte de Lémée.

Celui-ci, qui regardait amoureusement madame Peyrol, releva soudainement la tête, poussa un cri de joie, courut vers Ernestine, et, lui baisant les mains :

— Vous avez compris mon cœur, lui dit-il, oh ! vous sentiez que je vous aimais et que je vous aimais seule.

Madame Peyrol laissa échapper un sourire de mépris, tandis que l’avoué, se rapprochant d’elle par une savante manœuvre, affectait un air plein de joie et s’écriait :

— C’est tout simple, la jeunesse avec la jeunesse ; c’est un choix très-judicieux, il faut être à peu près du même âge pour être heureux ensemble.

— Quel âge avez-vous donc ? reprit M. Rigot, vous nous avez dit vingt-huit ans.

— J’en ai parbleu trente-cinq bien sonnés, reprit l’avoué en regardant madame Peyrol.

— Qui est-ce qui n’a pas trente-cinq ans ? dit le clerc avec humeur, voilà un beau mérite !

— Et si on ne les a pas, on les aura un jour, dit le commis.

— Silence, silence ! fit M. Rigot, c’est le tour d’Eugénie.

Elle ne quitta pas sa chaise et promena son regard autour d’elle. Puis elle dit, comme si les paroles qu’elle prononçait lui déchiraient la poitrine :

— Je choisis M. le baron de Luizzi.

— Moi ! s’écria Armand.

Il se rappela alors qu’il avait demandé à Satan le secret de la donation et que celui-ci n’avait pas répondu.

— Acceptez-vous ? dit M. Rigot.

— Hé ! hé ! hé ! hé ! fit le notaire.

À ce moment, Luizzi reconnut le rire du Diable et s’arrêta soudainement.

— Acceptez-vous ? répéta M. Rigot.

— Un moment, fit le notaire,