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de dire son nom aux étrangers par égard pour sa famille : c’est madame de Carin.

« Je poussai un cri de surprise… Madame de Carin, entends-tu, Armand ? cette femme à propos de laquelle a été prononcé le mot fatal qui nous a jetés l’un à l’autre ! madame de Carin, que j’ai laissé calomnier devant moi, quand je savais qu’elle était innocente, pour ménager la basse vanité de l’homme dont je portais le nom ! Madame de Carin la folle enfermée avec madame de Cerny l’adultère ! Je ne puis vous dire, Armand, ce qui s’est passé en moi : j’ai cru voir le châtiment qui se dressait à côté de la faute, et j’ai compris alors que toutes ces paroles vaines et méchantes que nous laissons si légèrement courir dans le monde peuvent briser de bien fortes existences. Hélas ! si je n’avais pas laissé calomnier madame de Carin, vous ne m’auriez pas répondu, Armand, je ne vous aurais pas connu, je ne serais pas enfermée dans la même prison qu’elle. Toutes ces pensées m’assaillaient pendant que la surveillante cherchait à m’expliquer comme quoi madame de Carin était poursuivie d’une idée fixe que M. de Carin avait voulu tuer M. de Vaucloix. Son récit ne pouvait guère m’intéresser à côté de mes pensées, et c’est à peine si je l’ai entendue pendant qu’elle me disait que l’autre folle était une femme de votre pays, qui s’appelle Henriette Buré, et qui s’imaginait avoir été enfermée pendant de longues années dans un souterrain où elle était accouchée, et dont on ne l’avait retirée que pour la mettre dans une maison de fous et lui enlever son enfant. L’heure de la clôture des portes était venue. On m’enferma et je dormis. Pour la première fois de ma vie, j’appris que la lassitude du corps est un refuge contre la fatigue de l’âme, et, après toutes ces nuits passées dans de si cruelles agitations, je ne m’éveillai que lorsque le jour était déjà assez avancé. Ma première pensée fut pour toi, et je me hâtai de descendre. Il paraît que la surveillante avait quelque nouvelle à m’annoncer, car, aussitôt qu’elle m’aperçut, elle traversa rapidement la cour et accourut vers moi.

« — Quelqu’un est-il venu me demander ? lui dis-je.

— La petite mendiante est ici, me répondit-elle.

— On l’a donc laissée entrer ?

— Il eût été difficile de lui refuser la porte, car elle a été envoyée ici comme accusée de vol.

— Cette enfant ! m’écriai-je, cette enfant ! mais c’est impossible !

— Pardine ! répondit la geôlière, elle s’en vante à qui veut l’entendre, et, si vous pouviez la voir, elle vous le raconterait.

« Je pensai alors à la bourse que j’avais confiée à cette jeune fille ; je crus qu’elle l’avait retenue, et quoique cette supposition m’enlevât l’espoir de savoir ce que vous étiez devenu, je m’en