Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/436

Cette page n’a pas encore été corrigée

empire sur moi-même quand vous avez prononcé ces paroles fatales sur madame de Carin, et je ne sais qui m’a poussée à vous en demander l’explication. Ç’a été une chose toute nouvelle pour moi que ce besoin irrésistible de faire une action que ma raison condamnait. Je vous ai écrit, vous êtes venu ; est-ce le ciel, est-ce l’enfer qui a voulu le reste ? Toute coupable que je suis, je veux espérer encore que ce n’est pas pour vous perdre que je me suis perdue.

« Je vous raconte tout cela, Armand, parce que voilà ce qu’ont été mes pensées durant les heures de cette longue journée, parce que, emportée en quelques jours dans tous les événements qui peuvent suffire à remplir une vie, c’est le premier moment de calme que j’aie trouvé pour me remettre en face de moi-même et me demander si je n’étais pas à la fois la plus folle et la plus coupable des femmes. Je repris, minute à minute, parole à parole, ces pages si courtes, si brûlantes et si rapides de ma vie, me demandant si ce n’avait pas été un délire, un vertige auquel je m’étais laissée entraîner, et je n’ai pas trouvé un moment, dans mon cœur, le regret de m’être donnée à toi ; j’ai senti qu’il n’y entrerait jamais.

« Si tu savais, Armand, toi qui es sans doute dans un de ces instants où tu dévores les heures avec impatience, forcé que tu es de subir la lenteur des affaires qui te retiennent, si tu savais comme les heures passent vite, assises sur une pensée ! elles fuient avec une telle rapidité que le soir était venu sans que j’eusse pu songer à autre chose qu’à me répéter à moi, ne pouvant te le dire : Oh ! je t’aime, Armand ! je t’aime ! je t’aime ! Sans doute la nuit fût venue et la nuit se fût passée comme le jour, si la surveillante, étant entrée tout à coup dans ma chambre, ne m’avait arrachée à cet entretien de mon cœur. Sa vue me rappela la curiosité que j’avais excitée ; et, ne sachant que répondre aux offres de service qu’elle me faisait ni comment trouver l’occasion de lui faire gagner une récompense qu’elle n’osait solliciter pour rien, je lui demandai quelles étaient les deux folles que j’avais rencontrées ensemble parmi toutes ces folles qui marchent isolées ; car une chose que j’ai apprise ici et qui m’a épouvantée, c’est que la folie a cela d’étrange que jamais deux insensées ne se parlent, ne s’aiment, ne se secourent. Le cœur s’en va-t-il donc avec la raison ?

« La surveillante répondit à ma question par une autre.

« — Vous n’avez donc pas reconnu la plus jeune ? Elle vous a bien reconnue, elle.

— Qui est-ce donc ? lui dis-je.

— Je puis vous la nommer, répondit tout bas la surveillante, quoiqu’il soit défendu