Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/434

Cette page n’a pas encore été corrigée

Entre la folie et le crime, entre des femmes qui ont perdu toute raison et des femmes qui ont perdu toute retenue, entre les récits insensés des unes et le langage obscène des autres, je n’hésitai pas un moment et je suivis le conseil qui m’avait été donné par le magistrat. Je fus convenablement logée, je pus réfléchir à ma situation et écrire à mon père pour l’en prévenir. Je ne voulais pas sortir de chez moi le lendemain de ma captivité ; je voyais, à travers les fenêtres, errer comme des fantômes les folles à la démarche imbécile, aux yeux fixes ou égarés, chantant, parlant, gesticulant ; l’une se couronnant d’herbe fanée comme pour aller au bal, une autre attachant à son côté son bouquet de mariée pour aller à l’autel, une autre encore berçant dans ses bras un morceau de bois, lui offrant son sein, l’appelant son enfant. Celle-ci me fit pleurer.

« Cependant je réfléchis que je ne pouvais guère savoir les efforts que ferait la petite mendiante pour venir jusqu’à moi, si je ne me mêlais, sinon à ces malheureuses insensées, du moins aux surveillantes qui les suivaient et qui allaient indifféremment dans toutes les parties de cette vaste prison. J’étais descendue dans la cour, j’en avais abordé une et j’avais obtenu d’elle, à prix d’argent, d’aller s’informer s’il n’était pas venu pour me voir une enfant à qui j’avais promis de la protéger et de lui venir en aide. La cause de mon arrestation était connue de cette femme ; elle savait mon nom, elle savait que je pourrais largement récompenser un jour la complaisance qu’elle m’aurait montrée, et elle s’était éloignée en me disant d’attendre son retour.

« Je m’étais assise dans un coin de cette vaste cour réservée à la promenade des folles ; j’évitais de les voir et j’évitais d’être vue d’elles, lorsque tout à coup je fus surprise par les regards de deux femmes qui, placées à quelque distance de moi, m’observaient avec une étrange curiosité. Toutes deux avaient dû être fort belles ; mais déjà l’âge et la douleur avaient flétri tout à fait l’une d’elles, tandis que l’autre gardait au milieu de sa tristesse un air de meilleure santé. Celle-ci me frappa d’autant plus singulièrement qu’il me sembla que son visage ne m’était pas inconnu, et je crus m’apercevoir en même temps que, de son côté, elle semblait chercher à se rappeler ma figure. Cette observation mutuelle dura pendant quelques minutes, et j’allais peut-être m’approcher de ces deux femmes, poussée par un secret instinct de pitié, lorsque la surveillante revint et me dit qu’une petite mendiante en effet était venue me demander, mais que d’après l’ordre de mon mari de ne me laisser communiquer avec personne, on avait repoussé cette enfant. Ce malheur, car c’en était un dans la circonstance